Les Fils de France
Saint-André-de-Cubzac, aux confins nord du Bordelais, quand ils eurent la surprise de trouver, à l’entrée du relais, le gendre d’Aimée de Lafayette.
M. de Lavedan, visiblement ému, les attendait depuis la veille pour leur communiquer une nouvelle importante. La litière de la reine était vaste, et le roi le pria d’y monter avec eux.
— Que s’est-il donc passé ? s’inquiéta Marguerite.
— Ne vous agitez pas, la supplia son mari en lui caressant le front ; il ne vous faut point d’émotion...
Car il pouvait se montrer aussi doux, aussi prévenant, qu’il était parfois brusque et emporté.
— Sachez que votre fille est digne de ses parents ! déclara Lavedan. Elle a, toute seule du haut de ses treize ans, tenu tête au roi l’autre matin.
Henri et Marguerite étaient partagés entre leur fierté amusée de parents et leur embarras politique de souverains. Ils décidèrent de mettre le gendre d’Aimée dans la confidence.
— La dégradation si rapide de mon état nous oblige à tout reconsidérer, expliqua Marguerite. Car tout peut changer très vite ! De deux choses l’une : ou bien je meurs incessamment et, dans ce cas, je préfère savoir ma fille mariée, et mariée richement ; ou bien je dois vivre, et alors, il sera toujours temps de faire annuler cette union allemande...
Le messager opina poliment du chef. Ainsi donc, se dit-il, l’objectif des parents de Jeanne avait changé ; il ne s’agissait plus, pour eux, d’empêcher ce mariage, mais plutôt de multiplier les ouvertures en faveur de son annulation éventuelle.
La litière était arrivée dans la cour du relais, mais ses occupants étaient trop affairés pour songer à en descendre.
— Voici une copie de la lettre que j’ai moi-même adressée au roi de France, dit Henri en tendant une missive au vicomte. Celui-ci devait y lire des phrases surprenantes. « Jeanne est bien jeune, avait ainsi argumenté le roi de Navarre, et vous savez comme moi combien sa santé est fragile. Il me paraîtrait dangereux pour elle, et délicat pour cette alliance, que l’union fût trop tôt consommée. » Ce dont François I er avait convenu sans peine.
— Je crains seulement que votre fille ne comprenne pas cette stratégie, jugea Lavedan.
— Nous ne la mettrons pas dans la confidence, précisa Henri.
— C’est plus sûr, approuva Marguerite.
Elle était encore affreusement pâle.
Ces noces de Châtellerault, décidément, s’annonçaient semées de périls.
Château de Châtellerault.
L e lundi 13 juin, à sept heures du soir, le roi fit une entrée magnifique au château de Châtellerault. La cour d’honneur accueillait un pavillon circulaire de toile brodée, tenu par un grand mât central. L’intérieur, couvert et tendu de tapis et tapisseries dont les fils d’or étincelaient déjà sous une myriade de flambeaux, accueillait des joueurs de trompettes, tambourins, fifres, hautbois, doucines 5 et flûtes. Leur symphonie retentit au moment où le monarque franchissait l’entrée, accompagné du duc de Clèves, du dauphin et – quoique sa disgrâce fût consommée – du connétable de Montmorency, en tant que grand maître.
Les seigneurs et les dames, resplendissant de fastueux atours, firent un triomphe au futur marié qui, lui-même richement vêtu, la mine altière et le regard noble, aurait pu aisément passer pour un prince charmant. Seulement, l’épouser entrait moins que jamais dans les vues de la jeune promise...
Les échos du premier bal, vite engagé, remontèrent jusqu’à la chambre de l’infante qui, par une fenêtre ouverte, contemplait tristement la Vienne scintillant au soleil déclinant. De grosses larmes, presque sèches à présent, avaient dessiné comme des ridules sur les joues encore tendres de cette princesse à peine sortie de l’enfance.
— Jeanne, intervint sa mère, il faut vous préparer ; nous allons être en retard !
L’infortunée fiancée ne put retenir tout à fait un haussement d’épaules. Elle se laissa conduire à sa toilette, et garnir les cheveux de fleurs de nacre minuscules, et nouer sur les bras une infinité de petits rubans jaunes d’or qui prenaient l’apparence de roses. Elle soupirait comme une condamnée aux marches du supplice, et jetant par moments, vers la reine de Navarre, des regards lourds de reproche, s’apprêtait à se sacrifier sur l’autel de la lâcheté parentale.
— Vous êtes si belle ! hasarda la bonne Aimée de
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