Les Fils de France
vœux fervents de prompt rétablissement.
— Taisez-vous.
Anne s’empourpra. Mais qu’avaient donc fait Guise, et Annebault, en son absence ? Elle se dit qu’à l’avenir, elle éviterait de laisser le roi si longtemps loin d’elle...
Ce qui changea sa contrariété en une sorte de panique, c’est le comportement d’un souverain qui, tout malade qu’il fût, tout essoufflé, tout transpirant, voulut d’emblée lui rappeler qu’elle n’était pas sa maîtresse pour s’occuper seulement de traités et d’alliances.
— Embrassez-moi, vilaine ! lui dit François, du ton qu’il eût pris pour s’adresser à une fille.
— Sire...
— Allons, ne fais pas ta précieuse !
Les personnes présentes s’éclipsèrent, à la grande honte de la favorite qui, de plus en plus révulsée à l’idée de satisfaire un malade devenu repoussant, tenta de s’arracher aux bras tremblotants qui prétendaient l’étreindre.
— Allons, ma mie, gémit François comme eût fait un enfant – ou bien un vieillard... Je t’ai longtemps attendue...
Alors Anne parvint à surmonter son dégoût, sa lassitude et, avec « son art consommé du propice et du judicieux », tenta de donner un peu de plaisir à son vieil amant. Elle se surprit à en prendre elle-même, mais d’une manière inédite et peu recommandable – manière qui devait pouvoir passer pour la forme profane d’une délectation morose.
— Au fait, s’exclama François alors qu’elle demeurait couchée sur lui, mon fils m’a fait parvenir une lettre qui vous concerne un peu.
— Votre fils !
— Henri dauphin.
Anne de Pisseleu ferma les yeux. Il était dit qu’elle n’en serait jamais quitte avec de tels ennemis.
— Où est sa lettre ?
— Ici même, dit François qui l’avait conservée à portée de la main, glissée sous un oreiller.
La duchesse, peinant à conserver son empire sur elle-même, défit le pli vivement. Ce qu’elle lut la mit hors d’elle : le dauphin, anticipant sur la reprise au printemps des hostilités, suppliait son père de révoquer l’amiral d’Annebault et de le remplacer par « un homme de guerre plus affirmé ».
— C’est Montmorency, son homme de guerre, siffla la favorite outrée.
Elle en aurait bavé de colère.
— Enfin, dit-elle en quittant le lit, dépenaillée, les cheveux en bataille, mais ne voyez-vous pas qu’ils veulent tous vous imposer ce grand traître de connétable, ce félon, cet enfant des Érinyes 2 ?
— Madame, calmez-vous !
— Bien sûr que je vais me calmer. D’ailleurs je vais vous abandonner aux griffes de ces fauves ! Je vais les laisser vous dévorer pour mieux se partager l’héritage. Allez-y, rappelez Montmorency, confiez la France au dauphin et à sa Vieille — puisque c’est elle qui est derrière tout cela et que, faible d’entre les faibles, vous la laissez agir impunément. Tenez : vous n’aurez qu’à la prendre pour maîtresse !
— Anne !
La duchesse se précipita vers la porte, qu’elle ouvrit en grand, et sortit en rejetant la tête, dans la pose outrée, dévastée, de celle dont on n’a pas reconnu les talents.
Fontainebleau.
— S avez-vous bien que vous m’avez manqué ? dit à Simon la duchesse d’Étampes.
L’écuyer lui sourit d’un air indéfinissable. Depuis toujours, il avait éprouvé pour elle une certaine affection ; et le souvenir – presque interdit – de leur nuit lyonnaise avec le beau Sébastien ajoutait à cette sympathie... Seulement elle avait trahi le roi – peut-être. Trahi son frère – sûrement. Pis : elle avait conduit Gautier à vouloir mourir. Comment pardonner de telles choses ?
— Oh, je sais que vous ne m’aimez pas trop, dit-elle de telle façon que Simon, malgré lui, faillit protester du contraire. À propos...
Elle avait pour coutume de changer le cours de la conversation, pour le plaisir, non de dérouter l’autre, mais de le mener à sa guise.
— À propos, savez-vous où réside Mme de Poitiers ?
— Mais oui, madame.
— Suis-je naïve, vous êtes messager ! Eh bien, mon cher Simon... Cela vous ennuie que je vous appelle « cher Simon » ?
— Non...
— Eh bien donc, cher Simon, c’est au messager, précisément, que je m’adresse. J’aimerais que vous acceptiez d’être mon interprète auprès de votre animal de frère. Un insensé, notez-le !
L’écuyer aurait aimé lui dire, lui crier même, que l’insensé avait bien failli perdre la vie par
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