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Les Fils de France

Les Fils de France

Titel: Les Fils de France Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Franck Ferrand
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manège, ce qui n’était jamais bon. Leurs bouillantes natures, quand elles ne trouvaient pas à s’épancher au-dehors, instituaient en effet un climat de nervosité propice à tous les mauvais pas. Il était rare, du reste, qu’une chasse fût annulée pour intempéries – mais la violence des trombes avait eu raison même des meilleures volontés.
    — C’est à propos de Jarnac, précisa Henri à l’attention de ses amis.
    Les jeunes seigneurs – Brissac en tête – oublièrent un instant la séance de dressage pour tendre une ouïe malveillante.
    — Eh bien, dit La Châtaigneraie, je disais au prince que le petit Jarnac couchait peut-être avec sa belle-mère.
    L’assistance pouffa pour la forme, mais sans enthousiasme. Le dauphin soupira.
    — Mais que tu racontes mal !
    Il dut se résoudre à narrer la chose lui-même.
    — Figurez-vous que l’autre soir, mon Vivonne croise le dameret – c’était le surnom que les ennemis de la duchesse donnaient à son frêle beau-frère – dans l’antichambre de la reine. « Oh, lui dit-il, le joli baudrier que voilà ! – Oui, répond le marmot, c’est Mme de Puy-Guyon qui me l’a offert. » Pour ceux qui l’ignoreraient, cette dame est sa... sa... sa belle-mère !
    Cette fois, les rires fusèrent de bon cœur. Encouragé, le prince Henri continua sur sa lancée.
    — « Oh, poursuit notre ami, et voyez donc ces bottes ! – Elles sont du même peaussier », précise le dameret. « – Ah oui ? Et ces gants magnifiques ? – Tout de même ! » ajoute le petit baron qui commençait à rougir. Et c’est là qu’il déclare à notre bon Vivonne : « Que voulez-vous, monsieur, la mère de ma femme a pour moi de ces bontés ! » Jusqu’où vont-elles, je vous en laisse juges.
    Cette fois, tout le manège s’esclaffa. L’on applaudit le dauphin, l’on tapa sur le dos de La Châtaigneraie.

    Quand le dressage eut repris, le distingué comte d’Enghien, considéré comme un héros depuis sa brillante victoire de Cérisoles, s’approcha discrètement du prince.
    — Monseigneur, dit-il, vous devriez vous méfier de Vivonne et de ses médisances. Car ce n’est pas la première fois qu’il colporte ce bruit sur Jarnac, auquel il voue une sorte de haine...
    — Et puis, monsieur ?
    — Eh bien... Il en est revenu quelque chose aux oreilles du baron...
    — Mais encore ?
    — Le baron a menacé d’en demander raison...
    — Tiens donc !
    Le dauphin, partagé entre la colère et l’amusement, choisit de prendre les choses à la légère.
    — Tu entends cela, Vivonne ? Le dameret, à ce qu’il paraît, demanderait raison de tes paroles !
    — Je n’ai jamais dit que la vérité.
    — Mais personne, ici, n’en doute ! Ce qui nous amuse, c’est d’imaginer un duel entre lui et toi.
    Les rires fusèrent à nouveau, car c’était, de fait, une image comique. D’un côté, la force massive du géant La Châtaigneraie ; de l’autre, la gracilité presque malingre d’un farfadet.
    — Eh bien moi, je suis d’avis que M. de Jarnac a raison, reprit le dauphin, décidément nerveux. Mais ce n’est pas un duel d’honneur qu’il vous faut ; c’est un duel judiciaire 27 .
    — Un duel judiciaire ?
    — Et comment ! Il est temps que Dieu lui-même montre à certaines gens vers qui va sa préférence !
    On applaudit de plus belle...
    Et c’est ainsi que fut lancée l’idée inouïe d’un grand duel public entre deux adversaires à ce point inégaux.

Château de La Roche-Guyon.
    V itrifiée par le froid, la pluie avait paraffiné les murs, par plaques, d’une pellicule opaque et feutrée, maculant par endroits les façades si propres du château neuf des Silly. La neige, pendant la nuit, avait complété cet ouvrage, fondant le paysage dans une douceur trompeuse. Ainsi le vieux donjon, là-haut sur le coteau, paraissait-il flotter dans les airs, comme suspendu au ciel tout blanc.
    Pour les jeunes seigneurs de l’entourage du dauphin, le programme de la journée s’en était trouvé bouleversé. Fi de la paume, du dressage et de la chasse ; et vive les jeux de neige ! On en avait glissé des poignées dans les lits, jeté des paquets à travers les couloirs, soulevé des brassées entières pour constituer murs, talus, fortins et défenses avancées... À dix heures, la neige amusait toute la jeunesse de cour ; à midi, des camps s’étaient formés ; à deux heures, la bataille faisait rage. Le roi – à croire

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