Les Fils de France
chevalier la permission de lui témoigner sa reconnaissance et, sans attendre la réponse, se lança dans une longue tirade assez ampoulée.
— Eh ! dit le Ferrarais, je n’ai fait que te tirer par le col ! Viens donc plutôt boire avec nous.
Simon, transporté de joie, festoya donc avec Cornelio Bentivoglio et ses gens. Leur accent, leurs rires – leur gentillesse – tout lui rappelait Sébastien. À bien y regarder, le guerrier lui ressemblait assez, d’ailleurs – en plus robuste.
— N’auriez-vous pas connu un certain comte de Montecucculi ?
Cornelio lui décocha un regard noir.
— Tu parles de mon cousin. D’ailleurs, je préférerais que tu n’en parles pas. Cela me fait trop mal.
La nuit était tombée, et l’on se regroupa autour des grands brasiers qui, tous les soirs, animaient les camps assiégeants. Certains se mirent à chanter... Ces chants, le vin, mais aussi la proximité du feu, facilitaient le rapprochement. Simon se sentit adopté par les Ferrarais ; en seulement quelques heures, il était devenu l’ami de son bienfaiteur. Sa joie, naïve certes, n’en était que plus profonde.
On allait étrenner une barrique quand la nouvelle, propagée dans le camp à la vitesse du vent, les faucha tous de plein fouet : le prince Charles de France, duc d’Orléans, venait de trépasser.
Tout le monde se signa, tombant à genoux. La surprise passée, Simon crut devoir pérorer. C’était là son défaut principal...
— Vous parlez d’une tragédie ! Ainsi le roi de France aura perdu tous ses fils... Hormis monsieur le dauphin, évidemment.
— « Évidemment » ; dis plutôt : forcément.
Ce commentaire aviné indisposa l’écuyer, mais il ne releva pas. C’est Cornelio qui, de lui-même, s’engagea plus avant.
— Tu as parlé, tout à l’heure, de mon cousin Sebastiano.
— Oui...
— Sebastiano n’a jamais empoisonné le principe François.
— Je sais bien.
— Tu sais bien, tu sais bien... Sebastiano était innocent, mais ça ne veut pas dire que François n’ait pas été empoisonné...
— Je ne suis pas certain de bien vous suivre.
Le Ferrarais fut un long moment sans répondre, comme s’il doutait un peu de la fiabilité de son nouvel ami. Il lui tendit une nouvelle coupe de vin. Simon l’accepta avec joie.
— On a empoisonné François pendant sa maladie, asséna Cornelio. Lui, croyait prendre des remèdes. Mais c’étaient des poisons.
— Mais qui aurait...
— La même main qui vient d’empoisonner ce pauvre écervelé de Charles !
— Que dites-vous ?
— Simon ! Réveille-toi, Simon !
Un ivrogne endormi, près de là, fit écho à cette injonction .
— Enfin, réfléchis, imbécile. Tu ne trouves donc pas étrange qu’aucun des compagnons de Charles – ils étaient plusieurs dans la maison – qu’aucun n’ait succombé à ces maudites fièvres ?
— Je trouve cela...
— Tu trouves cela étrange, et tu as rai-son ! On a empoisonné Charles, pardi ! Et tu veux que je te dise ? Je crois que je sais qui l’a fait. Il n’y a qu’à se demander à qui profite le crime. Is fecit qui prodest , comme disaient les Anciens...
Simon n’aurait su dire si c’était l’effet de l’alcool, ou bien celui de son admiration transie pour Bentivoglio ; mais sur le coup, cette thèse énoncée comme une vérité lui parut couler de source. Une lumineuse évidence venait de lui désigner, tapie dans l’ombre, la responsable cachée de tant de malheurs.
Mais alors, si cette thèse contenait une once de vérité, il fallait que la grande sénéchale, à l’hypocrisie la plus monstrueuse, ajoutât des complicités sans exemple. Simon réfléchit à cette double possibilité. Et c’est alors qu’un grand frisson lui parcourut le dos.
1 - Ce sont des hallebardes dont la partie supérieure fait penser à un bec de corbeau.
2 - Ce terme générique désignait indifféremment toutes sortes d’épidémies infectieuses.
3 - Voir La Régente noire .
Chapitre XI
Jeux de princes
(Hiver et Printemps 1546)
Château de Saint-Germain-en-Laye.
— R épète donc, Vivonne, ce que tu m’as raconté hier !
Le dauphin tenait à ce que François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie, fît profiter la compagnie d’un potin qui l’avait amusé.
— Monseigneur, je ne sais si je dois...
— Raconte, raconte ! Au moins cela nous distraira.
Ce matin-là, une pluie froide, agitée par des coups de vent, avait retenu les chasseurs au
Weitere Kostenlose Bücher