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Les fils de la liberté

Les fils de la liberté

Titel: Les fils de la liberté Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Diana Gabaldon
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j’avais préparées dans l’après-midi, au grand déplaisir de Mme Figg qui n’avait guère apprécié de voir sa cuisine immaculée ainsi profanée. Elle me toisait d’une façon qui laissait transparaître qu’elle savait que j’étais une rebelle et probablement une sorcière. Elle avait battu en retraite sur le seuil de la cuisine pendant que je travaillais mais refusé d’abandonner les lieux, nous surveillant d’un œil soupçonneux, moi et mon chaudron.
    Une grande carafe d’eau-de-vie de prune me tenait compagnie. Au cours de la semaine passée, j’avais découvert qu’un verre d’alcool fort avant le coucher m’aidait à m’endormir, du moins pour un temps. Ce soir, cela ne marchait pas. J’entendis la pendule du rez-de-chaussée sonner une heure.
    Je ramassai une boîte de camomille séchée qui s’était retournée et balayai les feuilles éparses du tranchant de la main, les faisant retomber dans leur réceptacle. Un flacon de sirop de pavot s’était lui aussi renversé et gisait sur le flanc, le liquide aromatique suintant du bouchon. Je le redressai, essuyai les gouttelettes dorées sur le goulot avec un mouchoir puis épongeai la petite flaque sur le parquet. Une racine, un caillou, une feuille. Les uns après les autres, je les ramassai, les redressai, les rangeai ; l’attirail de ma vocation, les fragments épars de ma destinée.
    Le verre frais me semblait lointain, le bois brillant, une illusion. Les battements de mon cœur étaient lents, erratiques. Je posai les mains sur le coffre, essayant de me ressaisir, de me resituer dans l’espace et le temps. Chaque jour, cela devenait un peu plus difficile.
    Je me souvins soudain, avec une précision douloureuse, d’un jour durant la retraite de Ticonderoga. Nous avions atteint un petit village et avions trouvé un refuge provisoire dans une grange. J’avais travaillé toute la journée, faisant de mon mieux sans fournitures, médicaments, instruments ni bandages hormis les vêtements crasseux et incrustés de sueur des blessés. Sentant le monde s’effacer toujours davantage tandis que je m’affairais, entendant ma voix comme si elle appartenait à une autre, ne voyant plus que les corps devant moi, les membres, les plaies. Perdant le contact avec toute autre réalité.
    La nuit était tombée. Quelqu’un s’était approché, m’avait hissée debout, tirée hors de la grange jusque dans une petite taverne. Elle était bondée. Quelqu’un… Ian ?… m’avait annoncé que Jamie m’attendait avec de quoi manger.
    Il était seul dans le bûcher, à peine éclairé par une lanterne éloignée.
    Je m’étais tenue devant lui, oscillant. A moins que ce ne fût la pièce qui oscillait autour de moi. Je pouvais voir mes doigts crispés autour du chambranle de la porte, mes ongles blancs.
    Il était venu vers moi.
    « Jamie… »
    J’étais soulagée d’avoir retrouvé son nom dans le chaos de ma tête.
    Il m’avait prise dans ses bras et m’avait entraînée à l’intérieur. L’espace d’un instant, je me demandai si je marchais ou s’il me portait. J’entendais le grattement de la terre battue sous mes pieds mais ne sentais plus mon poids.
    Il me parlait, un son réconfortant. Distinguer les mots me paraissait un effort insurmontable. J’avais néanmoins deviné ce qu’il me disait et articulé péniblement :
    « Ça va. Juste… fatiguée.
    — Veux-tu dormir, Sassenach , ou peux-tu manger un peu avant ? »
    Il m’avait lâchée pour prendre le pain et je m’étais retenue d’une main contre la cloison en bois, m’étonnant de la trouver solide.
    La sensation d’engourdissement était de retour.
    « Au lit, dis-je. Avec toi. Maintenant. »
    Sa main avait couvert ma joue, sa paume calleuse me réchauffant. Une grande main. Solide. Surtout solide.
    « Tu es sûre, a nighean  ? Tu tiens à peine sur tes… »
    J’avais posé une main sur son bras, m’attendant presque à ce qu’elle le traverse.
    « Fort, avais-je murmuré. Fais-moi mal. »
    Mon verre était vide. Je le remplis à nouveau, tenant précautionneusement la carafe. J’étais résolue à trouver l’oubli, ne serait-ce que provisoirement.
    Pouvais-je me scinder complètement ? Mon âme pouvait-elle quitter mon corps sans que je meure d’abord ? Ne l’avait-elle pas déjà fait ?
    Je bus lentement, une gorgée après l’autre. Puis une autre.
    Un bruit dut me faire relever la tête mais je n’avais pas conscience d’avoir

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