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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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caillé. Au-dessus, un clou traversait un parchemin.
    « Seigneur ! Seigneur ! Mais pourquoi les avez-vous laissé faire ? »
    Il avait vu, à Rechignac, les dernières convulsions d’un supplicié : Haguenier de Trélissac. Il s’était cru capable d’assister sans broncher aux morts les plus horribles. Quel présomptueux ! Devant cette tête aux orbites rouges dont la bouche meurtrie crachait un gros caillot ; devant cette paume trouée où deux mouches s’engluaient, devant ce ventre mutilé il percevait avec plus de violence encore qu’à l’Écluse et ailleurs, la puissance abominable de Blainville.
    — Les ignobles ! Ils se sont égayés à lui brûler la barbe avant de le tourmenter… Comme ils ont dû s’ébaudir !
    Il crut entendre un râle. «  Non ! Il est mort ! » Ce gémissement, il venait de l’émettre ; c’était l’expression de son propre tumulte. Il vomit une gorgée de fiel.
    Nageant d’un bras, poussant le martyr de l’autre, il atteignit le pont-levis.
    — C’est Gerbold, Père. Ils l’ont géhenné.
    Tandis que Thierry lui tendait la main, Bressolles et Barbet attrapèrent la traverse du crucifix et le hissèrent sur le pont. Le martyr les épouvanta. Moins cependant que les femmes : en criant, elles se dispersèrent, sauf Adelis qui se signa puis s’en alla lentement.
    Bressolles désencloua le corps et Thierry s’écria :
    — Messire, vous avez vu ce qu’ils ont mis au-dessus de sa tête ?
    — Oui… Donne… Ne déchire pas… Va chercher de quoi me sécher.
    Ogier saisit le parchemin. L’humidité en avait à peine dilué l’encre. Il lut à haute voix :
    —  Ogier d’Argouges, il fallait exemplier [194] le sort qui désormais t’est réservé. Tu reviens ; ce vieux qui t’était cher s’en va. Et pour que du ciel il ne puisse te voir, j’ai accompli le nécessaire… Et pour que sa voix ne t’atteigne pas, il a perdu sa langue et sa bouche… et pour qu’il ne puisse ouïr tes prières, je l’ai fait essoriller…
    Sans les lire complètement, le garçon jeta les menaces dans la douve. Il tremblait. L’ombre du porche l’écrasait et l’eau, devant lui, prenait un éclat lugubre.
    « Jamais je ne tomberai dans leurs griffes ! »
    Quelque effort qu’il fît pour recouvrer sa sérénité, il ne pouvait y parvenir. Il tremblait sans que sa nudité en fut cause. Il dit, ému par la détresse de son père :
    — Cet infect truand s’est gardé de sceller son message !
    — Eh oui, mon fils.
    De quelles réflexions s’alimentait l’angoisse du vieil homme ?
    Ses lèvres tremblaient sous la friche des poils blêmes ; des larmes roulaient le long de son nez. Non, vraiment, il n’était plus combatif. Plein de haine racornie, mais vide – ou peu s’en fallait – d’énergie.
    « Il me faut le contraindre à se battre ! »
    Et brusquement, Ogier s’accusa d’être injuste ; il revit ce guerrier sur le pont du Christophe, se frayant aidé d’Almire, son épée, un sentier sanglant dans un buisson d’acier goddon. Des débris de sensations passées lui revinrent en mémoire : admiration, ferveur, crainte et courroux quand un Anglais l’avait assommé par traîtrise. À sa déception succéda la pitié :
    — Père, je vous adjure de vous fortifier. Ne pensez qu’à Gerbold !
    — J’y pense… Il nous faut l’enterrer… Sans chapelain.
    — Dieu le voit, dit Bressolles. Cet homme fut un saint.
    Il joignit les mains puis posa la paume de sa dextre sur le front de la tête hideuse, à la lisière des cheveux blancs, tandis que Barbet demandait :
    — Où qu’on va l’ensépulturer ?
    Il était blafard ; ses yeux brillaient de fureur et de larmes.
    — Près de ma mère. Il a subi le baptême du sang. Elle sera confortée par un tel voisinage.
    — Quand même, dit Thierry, de retour, je ne comprends pas ! Blainville a toléré pendant cinq ans les allées et venues de cet innocent. Et voilà soudain qu’il se venge sur lui d’une déconvenue !
    L’écuyer détournait son regard du martyr, moins par horreur que parce que, dans la cour, Aude allait au puits.
    — Je reviens au pays ; je lui ai tué des hommes. S’il se questionne peut-être encore sur Montfort et Yvon, il sait que Blérancourt a péri par ma main… Et il a peur !
    — Tu dis vrai, mon fils : il a peur… Peur pour ses desseins que tu peux contrarier ici ou ailleurs… Il doit enrager de ne pas connaître ton

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