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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’amertume, incapable d’en dire davantage, il quitta la table et grimpa au sommet de la tour ouest. Bressolles y veillait.
    — Ils s’accouardissent en bas… Je ne sais que faire.
    — Il n’y a rien à faire, Ogier. Nous pourrions vivre un peu plus à notre aise si le roi rappelait Blainville à la Cour.
    Accoté à un merlon, regardant son fief inculte dont la nuit bleuissait les contours, Ogier n’éprouva d’autre sensation que celle d’une nullité lamentable.
    — Tout ici empunaise Blainville ! Tout est poilu par lui.
    — Invisible et présent comme le Malin… Vous n’avez nul recours contre ses maléfices… Il vous faut attendre…
    — Attendre !… Parfois, Girbert, quand je touche ce parchemin suspendu à mon cou, l’envie me prend de galoper jusqu’au palais royal avec Thierry. Je me dis que puisque Blainville en est absent, j’atteindrai le roi sans trop de peine. Mais, outre que ce serait présentement folie de dégarnir nos défenses, je doute d’obtenir cette audience. Blainville peut avoir laissé là-bas quelques créatures à sa solde. Et même sans cela, parce que je suis le fils d’un seigneur dégradé, je risque d’être éconduit… ou enfermé avant même d’entrevoir les marches du trône… Enfin, pour me protéger de Blainville, mon père a fait courir le bruit de ma mort. Je peux être accusé d’avoir usurpé mon nom sans pouvoir, malgré Thierry, fournir la preuve que je suis vraiment Ogier d’Argouges !
    — Vous avez attendu cinq ans. Vous devriez pouvoir maîtriser cette impatience.
    Si pertinente qu’elle fût, Ogier ne put se satisfaire d’une réplique pareille. Plongeant ses yeux dans ceux du maçon, il se livra :
    — En quittant Rechignac, j’étais décidé à retrouver ce malandrin où qu’il soit, pour l’épier afin de l’estoquer un jour dans un lieu propice. Je ne lui aurais dit mon nom qu’au bon moment… Or, il est là, tout proche, et les choses sont ainsi faites qu’il sait maintenant que je suis bon bataillard… Hélas ! à l’inverse de la mienne, sa haine est libre, active, efficace !
    Bressolles ayant approuvé son propos, sans mot dire, Ogier baissa la voix :
    — Quant à ma joie tant espérée de revivre en famille, eh bien, je vous le dis tout net : je m’ennuie… et je cherche pourquoi. Mon père me…
    Il hésita sachant qu’il allait proférer des paroles messéantes.
    — Eh bien, oui, il me déçoit. Ce n’est pas tant à cause de sa vieillesse… acceptée, puisque j’en connais les raisons mieux que quiconque ; c’est pour sa faiblesse d’âme… Vous avez vu combien la mort de Gerbold l’a frappé ?… Et Barbet !… Il aurait dû sévir, l’admonester : il s’est satisfait d’un reproche minime. Cette bénignité peut favoriser d’autres manquements et négligences… Et voilà ce dont je suis marri : à force d’avoir provoqué la compassion, cet homme a cessé d’inspirer le respect.
    Entre les sourcils du maçon, un bourrelet apparut.
    — On le respecte, Ogier, mais on ne le craint plus… bien qu’il n’ait jamais été un despote !
    Le garçon soutint le regard de Bressolles. Il le courrouçait, mais dût-il tarir son infinie clémence, il se confierait sans mollir :
    — C’est non seulement sa renommée que mon père a perdue dans la cour du châtelet de la Broye, c’est cette flamme que nous portons en nous et qui chauffe notre sang. Et c’est plus fort que moi, Girbert : même après l’avoir vu jugé, déshonoré, avili ; même en ayant dès lors redouté ce qu’il adviendrait à cet homme brisé ; même en sachant désormais tout ce qu’il a enduré pour survivre en compagnie des siens, je lui en veux de n’être plus semblable au chevalier de jadis. Je lui en veux malgré moi, en dépit de la vénération que je lui porte, et qui s’est agrandie du fait même de l’état où je l’ai retrouvé ! Il ne dit même plus le benedicite !
    —  La chère est si maigre et son appétit si étroit… Ne serait-ce pas à vous de le dire ?
    — Je n’oserais toucher à ce qui lui revient.
    Ogier s’interrompit. Des images incrustées au fond de sa mémoire, il conserverait toute sa vie celle d’un chevalier vilipendé, en chemise maculée de boue et de sang, chancelant d’humiliation et de fatigue devant ses pairs confondus de tristesse et d’impuissance. Exigence royale subordonnée aux volontés d’un truand !… Maintenant, ce réprouvé se

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