Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
qu’elles l’attendissent, il se précipita dans cette onde grise où les deux corps glissaient et clapotaient. Un ciel noir-rouge-or, et fumeux comme au crépuscule… «  Attendez ! » Il brassait sous le poids des nuées incendiaires ; il suffoquait ; les deux effrontées n’alentissaient leurs mouvements que pour s’ébaudir de lui, croupes, cuisses, seins roses dans le lit onduleux des vagues où elles se vitulaient ; il voyait scintiller leurs cheveux-algues et leurs yeux pareils à des écailles… Que faisait-il ? D’où sortaient-elles ?… La guerre ?… Où ?… Et cet arc qui flottait… À saisir… archonner… Toucher la chambrière en premier ; sentir le trait s’enfoncer, fondre en elle… Thierry soupirait quelque part… Dans des roseaux… Avec Aude, nue… Nue !… L’écuyer sa lance rose en avant… « Non, Champartel, je t’interdis cette quintaine ! » Pépiements d’oiseaux. Rires. Liesse : un grand champ, clos de bois blanc… Chauvigny… Longues bannières de pourpre et de sinople ; langues de tissu léchant des nuages d’orage… Un pavillon de soie blanc et noir et les mouchetures de Bretagne… et devant Montfort tout heureux de repartir au combat… « Que fais-tu là, Ogier ?… Oublie tout ce que je t’ai dit ! Oublie-moi ! » Au loin, des gémissements… Une fille blonde… Elle s’était détachée d’un tronc d’arbre et marchait sereinement, flexible… Le vent troussait sa robe jusqu’au nombril… « Ohé ! » L’atteindre, l’embrasser, l’embraser… Elle paraissait tellement… Il fallait qu’il la rejoigne… Adelis !… Elle riait, hautaine, et soudain s’enfuyait… Et au profit de qui le dédaignait-elle ?… Non ! Non ! Pas Blainville !
     
    *
     
    — Messire ! Messire !
    Qui l’importunait ? « Lâchez-moi !… Ah ! ça, lâchez-moi ! » Qui l’empêchait d’avancer ?
    — Laissez-moi !… Oh ! Bressolles.
    La gravité du visage aux yeux clairs, penché sur lui, suffit à tirer Ogier du rêve où il s’enfonçait.
    — Messire, il fait grand jour. Votre père vous mande.
    Il s’habilla et suivit le maçon. Après les illusions nocturnes, il entrait à nouveau dans des réalités tangibles. N’obtiendrait-il aucun répit ?
    Il fut à peine surpris de voir le pont-levis entrouvert. Il y avait là son père, Bertine, Aude et Thierry ; Guillemette, Barbet et Lesaunier. Un peu à l’écart, et comme étrangère à l’émotion de ces gens : Adelis.
    — Que se passe-t-il ?
    — Vois, dit Godefroy d’Argouges, le doigt tendu dans la brèche, entre la muraille et le tablier.
    Un corps flottait au milieu de la douve, nu et sanglant. Par dérision ou pour l’empêcher de couler, on l’avait étendu sur deux planches croisées.
    — Pour avoir subi pareil traitement, ce doit être Gerbold.
    — Œuvre de Ramonnet ou de Lerga… En tout cas, il est mort.
    — Un Navarrais, Ramonnet ou un autre, peu me chaut, Thierry !… J’y vais.
    Sans se soucier des femmes, Ogier se dévêtit. Il dénoua le cordon du sachet de cuir suspendu à son cou et protégeant le document de Montfort :
    — Tenez, Père. Prenez-en soin !
    Puis, le pont s’étant abaissé, il plongea.
    Il brassa puissamment l’eau putride, sentant parfois quelque touffe d’herbe aux lanières visqueuses chatouiller ses chevilles et ses orteils. Devant lui, par secousses, des enfilades précipitées de bulles grises montaient du fond limoneux et s’irisaient avant d’éclater. Un canard passa presque à portée de main, prit peur, battit des palmes, des ailes, et s’envola.
    — Bon Dieu, cette bestiole a fait des vagues !
    Ogier leva son visage aussi haut que possible afin d’éviter à sa bouche un attouchement écœurant. L’étang gluant au milieu duquel s’érigeait Gratot, dégageait une odeur si déplaisante qu’il se souvint du bourbier de l’Écluse. Comme en ce nauséabond rivage de Flandre où tant de guerriers avaient péri, le malheureux ermite devait son trépas à Blainville. Car nul autre que ce malandrin ne l’eût fait apprêter ainsi pour le jeter dans la douve.
    — Ce ne peut être que Gerbold… Oh ! les démons.
    Le trépas du vieillard avait été cruel : on lui avait tranché le nez, les lèvres, les oreilles ; on l’avait éborgné, émasculé avant ou après l’avoir crucifié. Des mouches et des moucherons bourdonnaient autour des plaies. Le bois, sous l’occiput, était brun de sang

Weitere Kostenlose Bücher