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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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brume.
    Il retourna au puits en ajustant ses chausses. Jeannette Aguiton venait de remplir un broc.
    — Le bonjour, messire Ogier. Il va faire beau, on dirait.…
    Avait-elle vu ? S’était-elle doutée ? Si oui, parlerait-elle à Barbet ? Aux autres commères ? Elle riait, peu pressée de partir.
    « En veut-elle, elle aussi ? »
    Trente ans et pleine de mollesse. Elle se souciait peu d’être vêtue de lambeaux : ses chairs s’y trouvaient à l’aise. À table, elle mangeait voracement, couvant sa maigre écuellée du regard, louchant parfois sur celles de ses voisins, puis digérant dans quelque rêverie morose d’où un hoquet la tirait, quand ce n’était une bourrade de son époux. Elle l’observait lui, le baronnet – comme elle disait – avec une sorte de défi tantôt ferme, tantôt chancelant. Un soir, il l’avait vue dans les bras de Gosselin, lequel tout en la baisant aux lèvres furetait sous ses penailles. Qu’eût dit la frêle Madeleine si elle les avait découverts ?
    Sans plus regarder la commère, Ogier s’aspergea le visage. Jeannette s’éloigna car Aude apparaissait, vêtue de ses peaux de renards, livide, décoiffée.
    — J’ai mal dormi… J’ai pensé à Blainville.
    — Tant qu’il vivra, il en sera ainsi.
    Elle sourit. Quand le soleil enflammait ses cheveux, avivant sous leur frange, le bleu de ses yeux et le carmin de ses lèvres, il voyait tant d’admiration dans le regard de Champartel qu’il éprouvait envers son écuyer un mécontentement d’une invariable acuité : « Elle a de l’estoc [202]  ; elle n’est pas pour toi ! » Mais pour qui d’autre ?
    Ce singulier dépit confinant à la jalousie, bien que son cœur n’y fût pas engagé – du moins voulait-il s’en convaincre – l’irritait d’autant plus qu’il estimait Thierry comme un loyal et valeureux frère d’armes. Moins attachée que lui, sans doute, à leur lignage, ou certaine que leur déchéance était irréparable – quelque résolu qu’elle le sût à les en affranchir –, Aude s’était donné un protecteur. En des conditions pareilles, toute autre fille noble, esseulée, n’eût-elle pas agi de la même façon ?
    Renvoyant au fond du puits le seau dont Jeannette s’était servie, Ogier le remonta par tractions lentes, appliquées, sur la corde, tandis que le pouliot grinçait, pour une fois, désagréablement. Saisissant l’anse, il demanda :
    — Que penses-tu de Champartel ?
    — Qu’il est bon et vaillant.
    — Mais il n’est qu’écuyer, de condition bien basse et…
    — Je sais. Il était fèvre. Je ne m’en soucie point.
    Ogier posa le seau sur la margelle et dévisagea sa sœur. Des ombres embuaient ses yeux, son front s’était plissé. Frileusement, elle ramena devant sa gorge le col touffu de son vêtement :
    — Ne te courrouce pas ! Que ce penchant pour un huron te semble malséant, je le conçois… Mais tu serais outrecuidant de me juger. Tout d’abord parce que tu es un homme. Ensuite parce que tu ne dédaignes pas le commun s’il peut te satisfaire.
    Sans doute faisait-elle allusion à Guillemette.
    — Et enfin, mon frère, parce que nous avons vécu différemment ces cinq maudites années !
    Aude se redressa, nullement par hautaineté : elle se dégageait d’un joug exténuant :
    — Tu ne peux savoir quel plaisir c’est de voir apparaître dans sa vie un être différent de ceux qu’on y côtoie sans trêve. Et dont on sent qu’il a bon cœur, belle âme et force courage. Nul garçon noble, autour de Gratot, ne m’a prise en pitié quand les malheurs ont fondu sur nous. Et pourtant, il en était venu aux joutes, souviens-t’en !… J’ai été seule… Pour soutien ? La mélancolie de notre mère, et Guillemette, langagière comme pas une [203] . Non, non, tu ne peux comprendre… Il faut avoir vécu en ces murs.
    — Tu l’aimes ?
    Ogier renonçait à tergiverser. Dans un silence épais, ils partagèrent seuls, cette fois, le fardeau de l’infamie. Aude leva son petit menton :
    — Je pourrais m’écrier : « Que t’importe ! » Or, Thierry est ton compagnon. Je ne te cache pas que si j’étais demeurée la fille que tu as connue, je l’aurais découragé. Mais j’ai cessé d’être cette pucelle. Je suis désormais plus sensible au cœur qu’à la naissance… Et c’est pourquoi ton écuyer me plaît.
    — Il te plaît… Soit… Cela ne signifie pas que tu l’aimes.
    — Cela prouve, au

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