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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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encore ! Montfort est parvenu à vous émouvoir… Ce que vous prenez pour du dédain n’est que de la déconvenue. Vous en voulez à Godefroy de ne pas ressembler à l’homme dont vous aviez conservé l’image… Une image affermie, embellie tout au long de vos années d’exil. Et c’est cela, l’ulcère de votre cœur !
    Ce fut au tour d’Ogier de soupirer. Ce cœur ulcéré, lourd de déception, de compassion, de regrets et de tendresse malade, son esprit peut-être trop excessif et sévère l’avait, durant ces jours maussades, retenu de s’épancher. Pourquoi se sentait-il si souvent enclin à comparer le chevalier d’autrefois avec le vieux reclus de maintenant ? Pourquoi, surtout, cédait-il au désir lancinant et pervers de confronter ce vaincu mélancolique, aux gestes lents, comme indécis, et aux paroles quelquefois hésitantes, à un Blainville au meilleur de sa force ? Un Blainville qu’il n’avait pas encore vu et dont les ans avaient certainement poncé les traits gravés dans sa mémoire.
    — Je sais, Girbert, que le courage de mon père est loin d’être affadi. Il a même pris sa part dans l’action contre les truands de Blérancourt. Mais après, il chancelait et tremblait tant que j’ai craint qu’il ne tombe dans l’herbe et y trépasse d’émoi et d’abattement. Alors, à mon plaisir de le retrouver hardi s’est mêlée cette inquiétude dont je vous ai fait part… Elle ne cesse d’empoisonner mes pensées…
    — L’homme de fer s’est enrugni [199] . Cette corrosion vous atteindra un jour.
    — Je sais. Et quand je pense au déclin de ma vie, si je ne puis périr d’un coup de lame, j’ai peur… Mon père a l’excuse d’une adversité diabolique. Il se peut que je n’aie rien et meure comme le plus piteux des bourgeois !
    Ogier rit tristement. Bressolles balança l’olifant qu’il portait en sautoir, et pencha le front. Sans doute s’excluait-il un moment de cette humanité violente et venimeuse sur laquelle les grains de sang d’un Christ généreux et paisible n’avaient fait lever que des moissons de mort. Les Goddons, Blainville maintenant et plus tard, à nouveau les Goddons s’il fallait en croire Jean de Montfort… Au lieu de l’amour du prochain, la dérision et la haine.
    — Allons, Girbert, je vous laisse. Bientôt, j’irai veiller à l’opposé. Même bref, le sommeil va m’apaiser… si je le trouve !
    Il dormait toujours dans le logis contigu à la machinerie du pont-levis, entre le maçon et Thierry, disposition gênante pour Bertine décidée à tout, sauf à le rejoindre en ce lieu. Quand elle servait aux repas, l’audacieuse frôlait son coude ou ses reins avec une insistance d’autant plus appuyée qu’elle voulait courroucer Guillemette aux aguets. Les pupilles de la jouvencelle avaient alors le pathétique éclat de deux cierges au fond d’un chœur.
    Il avait craint qu’elle ne se montrât par trop satisfaite de l’avoir pris aisément dans ses rets ; il n’en était rien, et cette discrétion lui convenait. Au plus noir des nuits, dans l’ombre de la grange, derrière un parapet de pierres, de tonneaux, d’auges rompues et de ridelles vermoulues, elle l’attendait. Nulle litière. Elle gémissait parfois quand une pierre pénétrait sa chair, mais il le savait, ces douleurs-là aiguillonnaient ses pâmoisons, et la quittait-il un moment qu’elle savait l’empoigner et le remettre en place. Que Bertine fût avisée de ces étreintes, c’était l’évidence. Bien que de loin ou de près elle ne manquât aucune occasion de manifester sa présence, il l’ignorait, découvrant même une délectation à cette indifférence. En souhaitant de plus en plus ardemment forniquer, l’effrénée devait magnifier la griserie de sa prochaine défaite… Oui, Bertine attendrait. Son contentement n’en serait que meilleur !
     
    *
     
    — Guillemette, dis-moi : que penses-tu de Bertine ?
    — Ah ! ne m’en parlez pas. Je ne lui pardonnerai jamais d’avoir voulu la même nuit… elle et moi… Elle a gâté tout mon plaisir.
    Aux instants du relâchement, la chambrière maugréait parfois contre l’absurdité d’une candeur ardemment préservée.
    — Si j’avais su ! soupira-t-elle ce soir-là.
    — À qui aurais-tu cédé… en m’attendant ? Courteille ou Desfeux ?
    — Aux deux.
    — À la fois ?
    Elle roucoula et ne se tut que lorsqu’il l’eut rivée au sol.
    Adelis aussi épiait Bertine.

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