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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Nullement à la façon anxieuse de Guillemette, mais comme elle eût examiné une araignée filant malaisément sa toile. Dans sa solitude attentive et sereine, l’ancienne ribaude prenait à son insu un relief troublant. Ogier s’étonnait qu’elle lui rendît ses sourires avec plus de retenue qu’autrefois. Même relâché pour quelque événement sans doute infime, l’attachement d’Adelis lui demeurait agréable. Elle s’employait à tout, cousait, reprisait, aidait à la préparation de la maigre pitance, nettoyait la basse-cour, hachait, faute de grain, l’herbe destinée aux volailles, soignait Titus, pansait Facebelle et parfois le genet de Bressolles, puis les promenait dans l’enceinte, ébahissant les commères depuis longtemps enclines à l’oisiveté. Lui seul, Ogier, pouvait comprendre un tel désir d’action : outre qu’ainsi les jours paraissaient moins saumâtres, Adelis, en œuvrant sans relâche, protégeait son esprit de maints souvenirs importuns. Fille de la terre, il l’avait parfois surprise à regarder avec une infinie tristesse les champs devenus des ronceraies et des placitres [200] . Elle écourtait les veillées où, devant l’âtre vide, les hommes dispensés du guet aiguisaient leurs armes, empennaient des flèches ou jouaient aux tables [201] tandis que n’ayant ni à filer la laine ni à tresser l’osier, les femmes patrocinaient, joignant à l’infinité du temps l’infini de leurs bavardages.
    Ogier observait et plaignait ces commères.
    « Rien n’est pire, pour elles, que cette misère et cet engourdissement. »
    Bertrande s’esclaffait d’un rien : elle était libre. Il y avait dans les œillades et les sourires de cette grande femme charnue un air de gourmandise et même de gloutonnerie. Sa plénitude laiteuse, ses hanches fortes, sa poitrine grosse – que sans savoir pourquoi il imaginait brûlante – excitaient sa curiosité. Dans sa simplicité rude, elle devait être épuisante.
    « Va te faire, songeait-il, besogner par les autres. »
    Madeleine Gosselin le regardait toujours obliquement. Rien de laiteux en elle, mais la pâleur de la réclusion. Elle ne quittait jamais son air éploré. Il en comprit un soir la raison en la voyant porter ses mains à son ventre. « Plate de partout, la voilà par ici qui devient rondelette. » Elle surprit son regard, répondit à son sourire puis, la bouche pincée, considéra son époux lequel tournait le dos à Lesaunier courbé comme un coupable sur l’épieu qu’il aiguisait.
    « Si cela se trouve, un troisième est le père… Et que m’importe !… Elle va peiner, la pitioune, à élever ici un enfant ! »
    Blonde, délicate, frémissante de peur et non, apparemment, d’ardeurs contenues, Isaure Barbet pleurnichait fréquemment sur son sort. Elle semblait proche de son homme, l’entourant de mots, de gestes doucereux. Mais fallait-il se fier à cette ferveur voyante ? Un matin, après qu’Ogier eut veillé toute la nuit, elle passa devant le puits où, demi-nu, il s’offrait une longue ablution.
    — Hé là, ne fuis pas, Isaure !… Viens donc me frotter et me sécher le dos.
    À pas légers, drapée dans une houppelande noire, elle s’approcha.
    C’était cette partie du jour où tout grisonne, où l’on distingue à peine à trois ou quatre pas tant la brume est encore épaisse. Or, ce qu’il voyait, lui, c’étaient les yeux de cette femme : tristes, à peine brillants. Et les lèvres sèches, frémissantes et maussades.
    — Ton mari a veillé, lui aussi… Je viens de le voir passer. N’est-il pas revenu chez toi ?
    Isaure soupira, fourragea dans ses cheveux dépeignés :
    — À peine couché, le voilà qui ronfle.
    — Alors que tu aurais voulu…
    Se pouvait-il qu’Isaure… Il saisit son poignet ; elle ne résista pas. Il l’entraîna dans la grange. Ombres et brouillard s’y mêlaient. Un scrupule le prit :
    — Hé !… As-tu oublié que tu es mariée ?
    Il vit Isaure se coucher, se retrousser d’elle-même et sentit bientôt ses bras se nouer à son cou. Elle tendit sa bouche affamée en lui abandonnant ses yeux, son corps, sans qu’il pût deviner si cette concession à l’une ou l’autre de leurs ardeurs, décidée en un moment de colère, ne contrarierait pas son plaisir. Elle pleura son sacrifice consommé, mais elle l’en remercia comme s’il venait de lui rendre service. Du seuil où il l’avait accompagnée, il la vit disparaître dans la

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