Les fleurs d'acier
misère et l’église ou la chapelle à la messe.
— Tu continues à le visiter ?
Cette fois, la commère s’indigna :
— Qu’est-ce que ça peut te faire ! À moins que tu ne veuilles tenir la chandelle.
S’il pouvait s’accommoder d’un tel état de fait, Ogier ne put tolérer tant d’impudicité moqueuse.
— Va te faire foutre… Et ne compte plus sur moi !
Bertine se releva, grommela une injure et s’en fut de son pas capricant.
Au souper, Ogier mangea sans faim, n’osant trop regarder son père. Il dormit mal. Un froid moite le réveilla peu avant l’aube. Il aperçut Péronne et Saladin couchés sur le lit de Bressolles et regretta, un pincement au cœur, l’absence du maçon.
Il secoua Thierry, Raymond, Courteille et Desfeux, leur disant qu’ils avaient de l’ouvrage. Il s’exprimait à mi-voix, sans impatience. Et quand, dans la cour, il rencontra son père, il s’aperçut que sa compassion à son égard s’était dissoute :
— Belle journée… Voyez comme le ciel est pur ! Et il lui tapa sur l’épaule. Fraternellement.
*
Ce fut novembre.
Blainville et ses suppôts tardant à réintégrer le manoir de la lande, les reclus de Gratot s’enhardirent. On mena paître les bestiaux hors des murs sous la surveillance de quatre hommes armés comme à la guerre : un après-midi le taureau, un autre les deux vaches et plus souvent les chevaux qu’on réaccoutuma aux grands galops sans trop les éloigner de l’enceinte. Deux fois par semaine, au cours de ce mois de grisaille et de vent, Ogier, Thierry, Adelis et Aude – celle-ci peu rassurée – emmenèrent Titus à la chasse. Devenu gras et dédaigneux, le faucon laissa maintes proies s’enfuir.
— Gratot l’emmaladit, relevait Ogier saris trop d’amertume.
— Ce n’est pas Gratot, mais la réclusion, disait tout uniment Adelis.
Vint décembre. Lecaudey, malade, ne pouvant pour un temps continuer son aide, Gosselin et Barbet sacrifièrent une vache.
La Noël fut bonne, Courteille et Desfeux ayant tué un sanglier dans la forêt de la Vendelée.
Le gel vint, la neige apparut. Il fallut bûcheronner. Les haies dépouillées offraient de médiocres abris mais permettaient de prévenir les embûches. On affronta quiètement cette adversité nouvelle. Devant un feu maigre, plus suant que flambant, on pria matin et soir pour le retour des beaux jours – même pas des jours heureux. Dans l’étable, Péronne mit bas deux chiots jaunes sur lesquels Saladin veilla farouchement. Les voyant peu après leur naissance, Gosselin grogna :
— Faudrait les noyer.
— Fais-le, dit Aude, et par Dieu quand ton enfant naîtra, il s’en ira pourrir avec eux dans la douve.
— Mais, damoiselle, je ne dis pas ça par mauvaiseté ! C’est que ça va faire deux bouches de plus à nourrir !
Sa femme, Madeleine, fit une fausse couche. Sans les soins d’Adelis et de Bertine, elle serait tombée de fièvre en chaud mal.
Sitôt le petit mis en terre – près de Gerbold –, Isaure dit que, par des temps pareils, il était fou de faire des enfants. Ogier espaça ses rencontres avec Guillemette et se surprit souvent à surveiller son ventre. Il demeurait bien plat. Elle s’étonna puis se plaignit qu’il s’esquivât, désormais, avant l’issue de leurs étreintes et décida de boire des soupes d’herbes – bourrache et bétoine mêlées – en prétendant qu’ainsi, elle resterait bréhaigne.
— Avale ce que tu voudras. Tu te rendras malade, et pour moi, rien ne changera.
Il épiait aussi le ventre de sa sœur. Puisque leur père traitait ouvertement Thierry en futur gendre, l’écuyer ne dissimulait plus ses amours, et le château ne manquait pas de reclusoirs propices aux embrassements.
« Peut-être, la nuit, quand je suis avec Guillemette, rejoint-il Aude dans sa chambre… Eh bien, tant mieux pour eux ! »
Le froid perdit son âpreté. La pluie, chaque jour, démangea les visages d’Ogier et de ses compagnons en lutte dans la cour boueuse. La senteur des douves débordantes s’atténua. Puis le soleil resta tout un jour dans le ciel. Le lendemain, au milieu de la matinée, un papillon franchit les murailles et s’en alla voleter au-dessus des tombes. Ogier qui s’exerçait contre Raymond tourna vers l’insecte la pointe de son épée :
— Voyez, les gars : le printemps n’est pas loin !
Ce fut mars, bourgeonnant aux arbres et fleurissant aux friches. Et une chaleur telle
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