Les fleurs d'acier
malheureux accouraient, imploraient. Cela se passait-il ainsi dans les duchés d’Édouard ?
— Dieu vous ait en Sa sainte garde !… Entrez, entrez par la porte de l’Aumônerie !
— Dis-moi plutôt où se trouve le demeure d’André de Chauvigny.
L’enfant interpellé, âgé de neuf ou dix ans, se soutenait par des béquilles. Ouvrant son escarcelle, Ogier lui tendit une piécette qu’il happa dans sa bouche, comme un poisson l’hameçon, puis cracha sur sa paume :
— Tout droit, messire, par cette rue montante. Le premier château que vous verrez sera celui de l’évêque ; le suivant celui que vous cherchez.
Marchegai avança, glissant parfois sur les pavés. Artus s’en approcha, la mâchoire écumante.
— Hé ! protesta Briatexte. J’aurais pu vous y mener… Mais après tout, je préfère aller vider un gobelet à nos retrouvailles…
Qui était-il ? Un Breton de Montfort, il ne s’en cachait plus. Mais de quel nom ? Avait-il rencontré la Clisson avant qu’elle ne partît pour ce village où Guesclin l’avait surprise ? La savait-il en péril ?
— Nous nous retrouverons, Ogier… ne serait-ce qu’aux joutes.
Seul son sourire échappait à l’ombre. Son cheval obéit à une ébrillade [295] sèche et imméritée. Après deux lançades, le couple inquiétant dévala vers les murailles d’enceinte.
Ogier ne put dissimuler son soulagement :
— Depuis longtemps, nous pensions tous qu’il avait usurpé le nom qu’il porte. Bressolles avait raison : lors du repas où il me sauva la vie, face à Panazol, il nous a raconté que son oncle était du Temple. Il nous a dit que les hommes d’armes de Nogaret, lancés à sa recherche, avaient occis toute sa famille, par dépit qu’il ne fut pas auprès d’eux, et que lui, Enguerrand, avait échappé à la tuerie en se cachant dans une écurie… Or, cet homme a trente-cinq ans à peine. Il n’était pas né [296] lors de ces événements… Il ment ! Il ment toujours !… Et il se peut, cependant, que sa vraie famille ait été anéantie par des Charlots… et sa haine est terrible. Je la comprends.
Suivant Saladin, ils s’engagèrent entre des maisons aux murs percés de jours étroits, défendus par des barres de fer. Çà et là, des guenilles pendaient. Parfois, une venelle s’amorçait avec tout au fond des cris de femme ou des pleurs d’enfant.
Ils croisèrent un groupe de cavaliers – seigneurs, écuyers et varlets. La jeunesse et les bourgeois s’en étaient écartés prestement tant ils avaient l’allure austère. Des chants sortaient d’une taverne.
— On festoie, dit Ogier. La liesse doit être partout… À quelques lieues, l’Anglais fourbit ses armes en attendant la décision des larrons qui doivent se rejoindre ici !
Redoublant d’attention, il laissa Marchegai avancer parmi ces passants d’entre lesquels surgit une ribaude. Et tandis qu’elle lui promettait les sept félicités, il se demanda si Adelis, naguère, avait abordé ainsi les badauds. « Non !… Mille fois non ! » Thierry l’interpella :
— Messire Ogier !… Je crois que nous serons mieux sous la toile de notre pavillon, dans le grand pré, qu’entre les murs de Morthemer… Un froid malsain en sue… et Raoul Grosses-Mains ne me dit rien qui vaille !
— Tu as raison… Et bien qu’elle m’en ait prié avec insistance, j’atermoie pour porter les couleurs d’Isabelle.
— N’en faites rien si vous hésitez !
— Ton conseil est bon, Thierry. Et le vôtre, Adelis ?
— Oh ! moi, je n’ai rien à dire… Cependant, cette damoiselle me paraît… déraisonnable.
Ogier s’apprêtait à demander pourquoi. Raymond l’en empêcha :
— Cette donzelle, il me semble l’avoir déjà vue.
Thierry s’esclaffa ; Ogier fronça les sourcils :
— Où donc, compère ?
— À Hennebont, un soir, juste après qu’on nous eut annoncé le trépas de Jean de Montfort.
— Impossible !… Je vois que Morthemer te tourneboule aussi… Allons, compagnons : oublions nos soucis et nos peines… Et voyez ! Outre qu’on trouve ici la liesse et la luxure, on voit fleurir quelques amours !
Ogier désignait deux couples si serrés qu’une épée seule eût pu les séparer. Et ces enlacements le rendirent chagrin :
« Je n’ai jusqu’ici connu que des accommodements faciles… Mais que se passe-t-il ? »
Sur une place, un rassemblement s’était formé autour d’un héraut à cheval
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