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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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prud’hommes richement atournés, aussi à l’aise dans leurs vêtements que dans leur peau, avait excité sa curiosité sans altérer une sérénité que seul, ouvertement, Champartel désavouait. En réapparaissant, Blainville endommageait cet édifice de confiance et d’espérance patiemment érigé depuis les révélations de Jean de Montfort. En même temps qu’elle le confirmait dans sa médiocrité, la présence de ce maudit insérait entre ses desseins et les réalités de ce matin de foule et de soleil, la confirmation que son entreprise, toute vertueuse et justifiée qu’elle fût, participait d’un rêve déraisonnable. Chevillé à la monarchie sainte et sacrée, déterminé en ses choix, irrévocable en ses sentences, Blainville parvenait au sommet de sa force. Il paraissait et se savait indestructible.
    — Rien qu’à le voir, dit Raymond, j’ai le sang qui bout !… Mais messire, faut pas perdre courage !
    Sensible à cette compassion, Ogier porta la bride de Marchegai à sa bouche et la serra entre ses dents pour étouffer un juron. Ce crapuleux baron insultait tout ce que le duché de Normandie possédait de sujets honnêtes et loyaux, et par-delà, tous les justes du royaume. « Pire qu’Harcourt qui, au moins, n’a jamais rien dissimulé ! » Il jeta un coup d’œil sur le manant à la huque de daim, s’étonnant qu’il fût toujours là, le front bas pour échapper aux regards. Et, revenant à Blainville : « Est-il seulement Normand ? » Ah ! ce visage dur, verrouillé, eût-on dit, sur la constante jubilation des plaisirs et privilèges accumulés…
    — L’effronterie du coq et le cœur de l’aspic !… Il se sent solide, hors de toute suspicion… même apte, en cas d’outrage, à châtier un prince du sang !
    — Sa richesse… commença Thierry.
    — Sa richesse, pour moi, n’est d’aucun intérêt ! Ce qu’il y a surtout d’indécent chez cet homme, c’est ce mélange de malice, d’orgueil et de féauté, soutenu et même glorifié par l’impéritie royale ! Un vrai roi doit se passer de marmouset [298] … et il a fallu que Philippe en prenne un de cette espèce !
    Dans ce bruyant rassemblement de bataillards et de manants, étaient-ils les seuls, eux, gens de Gratot, à savoir quelle puanteur de scandale enveloppait cet homme ? Sans doute.
    — J’enrage, dit Ogier, simplement.
    Il détenait contre ce nuisible, en plus de ce qu’il pouvait affirmer à son détriment, la preuve formelle de sa turpitude. Or, cette pièce estimée jusque-là comme un trésor sans prix lui paraissait dérisoire. Il fallait, pour décrier Blainville avant de l’affronter à l’épée, un tel faisceau de bonnes chances !… L’infâme avait ses loups, prêts à sa protection – soudoyers, Navarrais, faux témoins – et surtout son renom de serviteur fidèle.
    « Et moi, Argouges, en face ?… Je suis à Chauvigny sous un nom usurpé. Mes compagnons ne sont même pas de ceux dont on ne dit rien ; on pourrait s’ébaudir si l’on connaissait leur lignage : un ancien fèvre me tient lieu d’écuyer ; un sergent aux allures rustiques la seconde… Une ancienne fille follieuse nous suit, et je ne sais trop que faire avec elle, hormis l’amour qu’elle me refuse désormais, ce dont je ne peux m’indigner puisqu’elle m’avait prévenu !… Et moi, enfin, qui suis-je ?… Un rat devant Blainville… Un rat voulant détruire un donjon de granit ! »
    Allons, il ne fallait céder ni au découragement ni à la haine. Il devait tout subir, mal sourd, nécessaire. Attendre et espérer.
    — Tout de même… murmura-t-il.
    — À quoi pensez-vous, mon frère ? demanda doucement Adelis.
    Il évita son regard. Mieux que les deux autres, elle avait perçu en lui ce sentiment d’impuissance et de petitesse pour l’avoir éprouvé naguère, au commencement d’une déchéance plus désespérante encore que la sienne.
    « Pourquoi l’ai-je amenée ? Pourquoi, surtout, a-t-elle voulu me suivre ?… M’aime-t-elle ?… Nullement. Si elle avait pour moi plus que de l’amitié, elle se montrerait moins distante ! »
    Il s’aperçut qu’il ne lui avait pas répondu.
    — Je pensais, m’amie, que mon ennemi me paraît invincible. Je pensais que nous sommes bien seuls tous les quatre… et démunis de tout, sauf d’un soupçon d’espérance…
    Son regard chercha le manant au chaperon gris. Il le trouva dans une encoignure. « Il se cache, mais

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