Les fleurs d'acier
annonçant une réjouissance :
— Or oyez ! Oyez ! Oyez !… Six gentilshommes font savoir à tous, nobles hommes ici présents, les choses qui s’ensuivent. C’est que le lendemain de Noël, jour de monseigneur Saint Étienne, lesdits gentilshommes se trouveront de bon matin sur les rangs, armés de toutes pièces en harnois de guerre, gardant une barrière, la lance au poing, pour combattre ceux qui venir voudront à Chalusset, près Limoges. Ils se battront à l’épée à une main, à l’épée à deux mains, au vouge et à la hache. Ils se reposeront le troisième jour, en l’honneur des saints Innocents. Le quatrième jour, ils se retrouveront en armes et jouteront avec la lance de guerre. Ils défendront un bastillon contre tous assaillants…
Des hurlements – joie et assentiment – étouffèrent un instant la voix du crieur. Ogier examina ceux qui les proféraient. C’étaient, soit à pied, soit à cheval, des seigneurs de haut rang à en juger par leur ostentation, l’éclat des livrées de leurs gens et la beauté de leurs bannières. Certains se concertaient et leurs mouvements faisaient briller les anneaux de leurs colliers, les brocarts de leurs pourpoints et les cuirs des fourreaux de leurs armes. Ogier n’éprouva ni envie ni malveillance à leur égard, bien que l’orgueil de certains lui déplût.
« Nous verrons, bientôt, votre vraie valeur dans la lice ! »
Pensant cela, il aperçut un manant à l’écart, et tressaillit. Un chaperon gris dissimulait son front ; une barbe poivre et sel bien fournie couvrait ses joues et son menton. Il était habillé d’une huque de peau de daim rapiécée et lançait des regards à l’entour comme s’il attendait quelqu’un. Il clopina pour aller s’accoter à un mur, et comme un cavalier passait, il baissa la tête et parut s’absorber dans la contemplation de ses mains.
« Non, je ne vais pas voir des comploteurs aux quatre coins de Chauvigny, et particulièrement celui - là, même si cet homme lui ressemble… Si Harcourt est ici, il est muché, sans doute, au château de sa sœur, et il y attend ses complices. »
Thierry mit pied à terre ; Ogier sourcilla :
— Eh ! que t’arrive-t-il ?… Pourquoi me regardes-tu ainsi ?… Par Dieu, on dirait que tu m’en veux !
L’écuyer pinçait les lèvres. Ses yeux brillaient d’une fureur dont il était si peu coutumier qu’Ogier s’inquiéta : « Il a pourtant les nerfs solides. Qu’ai-je commis pour qu’il soit irrité à ce point ? » Il immobilisa Marchegai. Adelis et Raymond retinrent leurs montures.
— Messire, descendez. Nous parlerons ainsi plus à notre aise.
Ogier obtempéra :
— Qu’as-tu à me dire, Thierry, d’aussi pressant ?
— Messire, il ne faut pas que j’élève la voix. Ça sera mieux d’avancer en marchant.
— Bon… descendez, vous autres… Qu’est-ce qui te courrouce ou te soucie ?
Thierry avala sa salive ; et tout en tortillant les rênes de Veillantif dont les naseaux lui frôlaient l’épaule :
— Nous avons eu grand tort de laisser partir Briatexte. Il fallait l’occire sans barguigner dans le champ où nous l’avons trouvé… Vous seul ou tous ensemble… Je sais qu’entre seigneurs et chevaliers, la parole est sacrée ; je sais que rares sont ceux qui contreviennent à leur serment… Mais cet homme-là est dépourvu d’honneur !… C’est un félon de la pire espèce et s’y fier, c’est encourir un péril mortel !
Ogier eut un geste agacé :
— Tu me parles comme ma conscience… Mais imagine que j’aie défié Briatexte lorsque nous l’avons entouré… Il se peut qu’il ait invoqué, à l’appui de son refus, quelque argument recevable dont le meilleur aurait été : « Attendons les joutes et le tournoi. » Et si, au lieu de différer notre affaire, il m’avait dit : « Soit, battons-nous », un de nous deux serait mort à présent… Suppose, Thierry, que ce soit moi.
— Oh !… Vous l’avez déjà dominé !
— Une fois n’est pas coutume. Si j’étais mort, je serais mort en vain, poursuivit Ogier, insensible au reproche lourd d’admiration de l’écuyer. Ma famille resterait embourbée dans une déchéance d’où mon père, tu le sais, est incapable de la sortir.
Il soupira, déçu et agacé d’avoir à exprimer des idées cent fois soupesées.
— Chevaucher jusqu’ici, non seulement pour tenter d’éventer un complot dont nous ne savons rien, ou
Weitere Kostenlose Bücher