Les fleurs d'acier
corde.
— Bon sang ! dit Ogier. Nous sommes déjà sortis.
— Certes… Mais là-bas, à la courbe du chemin, je vois ce que nous cherchons !
Thierry pointait l’index vers un portail que surmontait un énorme fer à cheval.
*
Une enclume sur sa souche ; le fourneau surplombé par la hotte et flanqué du soufflet massif ; des galeries de pinces, de tricoises et d’outils empoissés d’une sorte de buée noire ; un baril d’eau ténébreuse et un établi couvert de fragments de ferraille constituaient l’atelier de l’homme qui venait de les accueillir. Quarante ans ; grand, gras et roux ; des yeux bleu pâle, mélancoliques. Ceint d’un devantier de cuir, coiffé d’un bonnet en peau de mouton, les pieds dans des sabots, ce fèvre inspira confiance à Thierry :
— Compère, il paraît qu’un de nos chevaux se déferre… Celui-là, près du barbu…
L’homme, en la tordant dans ses poings, essora une panouille, s’essuya et jeta la toile dans le tonneau tandis que Champartel s’approchait d’un mur écaillé de fers préparés à l’avance. Il en décrocha un et le considéra des deux côtés – pince, mamelle et branches :
— Bel ouvrage, compère !… Crois-moi : je m’y connais.
L’homme parut sensible au compliment.
— Allons voir ce cheval. On fera ce qu’on pourra.
Dans la cour, il se dirigea droit vers Marcepin dont il flatta l’encolure en lui parlant doucement ; puis, soulevant l’antérieur droit du roncin :
— Le fer tient bon… Je vois ce que c’est.
Il tira un couteau de sous son devantier ; quand il se releva, il tenait au bout des doigts une miette de granit :
— Voilà !… Le fer n’était pas en cause…
Il vérifia cependant les trois autres, et pendant qu’il y était ceux de tous les chevaux, de Facebelle et du mulet.
— Où allez-vous ? demanda-t-il après qu’il eut terminé.
— En Normandie, répondit Thierry. En Pierregord, d’où nous venons, c’est la guerre.
Les petits yeux aux cils rongés par les flammes glissèrent sur Ogier et ses compagnons pour s’arrêter sur Adelis et Titus :
— Un chevaucheur est passé avant-hier avec une petite flote [34] . Il remontait à Paris informer le roi que le duc Jean, son fils, et ses hommes d’armes font mouvement pour meshaigner les Goddons. Mais vous, messires, et vous, dame, où comptez-vous passer la nuit ?… Vous semblez fort las… Quant à vous, monseigneur, votre front saigne…
— Nous comptions, dit Ogier, poursuivre jusqu’à Rochechouart.
— C’est à trois lieues d’Oradour. Or, regardez le ciel… Certes, il y a du bleu, mais il écume au loin comme une soupe aux choux.
Ogier quêta l’avis d’Adelis et de Bressolles. Comme ils n’osaient se prononcer, il décida :
— Nous allons demeurer céans jusqu’à demain. Nous avons besoin de dormir et de manger.
Son regard revint au forgeron :
— Connais-tu une hôtellerie ?
L’homme leva les bras :
— Notre cité en est dépourvue. Mais, comme d’autres, vous pouvez profiter de ma maison, de ma grange et de mon écurie.
— Eh bien, soit !
— Pour commencer, messire…
— Ogier d’Argouges, dit Thierry. Messire est chevalier.
— … je vais vous faire donner une miche, du fromage et de quoi boire. Mon nom à moi est Matthieu Eyze. J’ai deux chambres. Une à trois lits pour vous, messire Argouges, votre écuyer et le seigneur qui vous accompagne…
Briatexte s’inclina.
— Et un autre lit pour cette dame et son mari.
Raymond s’ébaudit ; il fut le seul et en parut consterné. Le fèvre s’aperçut enfin de l’embarras d’Adelis et de Bressolles.
— Et puis quoi ! dit-il. Arrangez-vous entre vous.
Joignant ses mains en cornet, il hurla :
— Hervé !… Perrine !
Un garçon d’une quinzaine d’années apparut au seuil de la grange. Maigre, mal vêtu, le regard bleu sous d’épais sourcils blonds, il tenait un râteau qu’il jeta derrière lui, sur le foin. Une grosse femme vêtue de noir, la tête enfoncée dans une huve de coutil bien blanche, ouvrit la porte de la maison attenante à la forge.
— Femme, fais entrer cette dame et ces hommes, et fournis-leur de quoi attendre le dîner… Hervé, occupe-toi de tous ces chevaux…
Tourné vers Ogier, Matthieu Eyze acheva :
— Mille pardons, messire, mais j’ai affaire.
Et traînant ses sabots, il regagna sa forge.
*
Dame Perrine posa des gobelets et un gros
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