Les fleurs d'acier
de ma déconvenue.
Ogier l’enfermait dans son regard. Telles des bannières au vent, des idées se déployaient et flottaient en lui : « Belle… Un rêve d’or et de chair. » Et pour fortifier son plaisir, il l’imaginait recluse en sa chambre, tissant la toile, filant la laine, jouant du luth et rêvant d’amours heureuses.
— Je vous sais bon gré, messire, d’avoir sorti ma fille des mains de ce goujat auquel j’ai demandé raison de sa conduite. Je suis Herbert III Berland, seigneur des Halles de Poitiers.
Rond de corps et de visage, il claudiquait mais en était fier : navrure de joute, tout aussi estimable qu’une blessure de guerre. Il s’était vêtu en bourgeois et seul son pourpoint frappé d’un écusson à ses armes révélait sa noblesse : d’azur à deux merlans d’argent, le champ semé d’étoiles d’or. Son épouse, inquiète, avoua :
— Cet Espagnol me fait peur.
— Un Navarrais, dame… Je l’ai requis de m’affronter.
— Je sais, dit Herbert Berland. J’étais présent quand vous le fîtes. Je dois dire que la hardiesse est pour moi la qualité la plus précieuse d’un homme… Je vous souhaite de faire merveille devant ce Lerga mais vous adjure de m’en laisser un peu !
Messire Berland riait ; Ogier en fit autant puis se rembrunit : la reine passait.
— Nous la connaissons bien, dit la mère de Blandine. Guy de Morthemer est un des bons amis d’Herbert. Nous avons appris – par Isabelle – qu’il doit demeurer en son château… Savez-vous quel chevalier s’est proposé de la servir ?… Elle l’a d’ailleurs éconduit…
— Raoul de Cahors, dit Herbert Berland. Il me fait l’effet d’un routier… Il a quitté Saint-Léger, mais voici près de nous son écu et son heaume.
Ogier ne vit que la jube [409] du heaume : une tête de loup aux yeux de verre ; trois pouces de langue rouge jaillissaient d’entre les crocs. Les oreilles pointues et la collerette avaient été prélevées sur un fauve.
— Cet homme au cœur de loup a l’amitié du roi et du duc Jean… Oh ! j’aperçois Jean IV d’Harcourt, le frère de dame Alix et son fils aîné, le comte d’Aumale, dont je doutais fort qu’ils viennent…
Herbert III Berland s’éloigna, boitillant mais allègre, entraînant par la main son épouse tandis que Blandine, ravie d’être délaissée, demeurait immobile :
— Messire Ogier, méfiez-vous de ce Lerga… Il me fait…
Elle fut interrompue.
— Oh ! Blandine, m’amie… Vous connaissez Ogier.
Isabelle encore ! Isabelle usant de cet Ogier comme d’un fléau d’armes. Sous ce coup perfide et brutal, Blandine avait pâli.
— Savez-vous, m’amie, qu’il m’avait proposé d’être mon chevalier ?… J’ai dû refuser… Je suis sûre qu’il en a du dépit !
— Nullement, dit Ogier, paisible en apparence. Damoiselle ! Avec cette couronne, souhaiteriez-vous pour invisible attribut le sceptre du mensonge ?… Soyez droite : nous nous connaissons à peine et je ne vous ai rien promis…
Il soutint le regard d’Isabelle, assez content d’y voir refluer cette malignité désagréable contre laquelle, sans doute, il n’existait aucun remède. Un tel mésaise l’envahit, cependant, à l’idée que Blandine pût en souffrir, que, s’insinuant entre les deux jouvencelles, il se plaça devant sa préférée, signifiant ainsi à la Bretonne furieuse qu’il s’instituait son protecteur.
— Eh bien, Blandine, nous verrons bientôt notre Ogier à l’œuvre.
— J’en connais dont la félicité serait de me voir bouté hors de ma selle ou transpercé d’un tronçon de lance !
Ogier se tourna vers Blandine :
— Mais je tiendrai bon, vous verrez !
— Il n’y a pas que la joute. Songez-vous au tournoi de lundi ?
Isabelle souriait ; sa voix s’était adoucie jusqu’à devenir veloutée, tandis que, d’un geste sans doute allusif, elle affermissait sa couronne. Cette fois, Ogier sentit sous la suave tiédeur des mots l’ébauche de cette vengeance que Thierry – immobile – craignait.
— Je songe à ce tournoi. J’en connais les lois et les excès… Et je sais que le mal attire le mal.
— Nous verrons !
Sur cette conclusion formulée sans grâce, bien qu’au pluriel de majesté, Isabelle s’éloigna, tirant avec tant de violence la jeunette qui soutenait sa traîne que celle-ci en trébucha.
Soulagé, Ogier sourit à Blandine :
— Damoiselle, on dirait que
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