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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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c’était celui de sa mère.
    Il s’offrit une longue ablution puis descendit dans la cour.
    Thierry, Raymond, Bressolles, Gosselin et Lesaunier étrillaient les chevaux ; Adelis démêlait la crinière de Facebelle et Bertine pansait le mulet. Assis sur un banc, entre Saladin et Péronne, Godefroy d’Argouges les observait. Il se leva :
    — Tu vois là, mon fils, des actes dont nous avions cessé la pratique depuis longtemps.
    Ogier sourit, bien qu’il eût retrouvé, sans la moindre altération, ce regard morne que seul le soleil animait. Aggravées par sa lumière, les rides du visage grisâtre apparaissaient plus profondes ; quant aux vêtements, si Godefroy d’Argouges en avait changé, son pourpoint noir, propre, avait des manches effrangées et ses chausses jadis bleues avaient pris une teinte livide.
    — La bonne vie, Père, ne tardera point à renaître.
    En s’apprêtant sans hâte, Ogier s’était dit qu’il serait enfin en présence d’un homme rasséréné, confiant en son destin et surtout en son fils. La réalité lui infligeait un triste démenti. À l’abri de son eau dormante et de ses murailles, épuisant son trésor et usant d’aventureux stratagèmes pour subsister ainsi que les siens, son père semblait s’être amolli et découragé à jamais. Le vieillard fit un effort pour sourire :
    — Que vas-tu faire, Ogier ?
    — Parcourir notre demeure.
    — Aimerais-tu, mon gars, que je vienne avec toi ?
    — Non… sans vouloir vous offenser.
    — Veux-tu que je demande à Aude qu’elle…
    — Non, Père. Il me faut être seul.
    Il avait revu le Gratot nocturne ; il voulait découvrir au grand jour ces pierres tant de fois érigées de mémoire. Sachant bien quelle épreuve cette visite constituerait, il refusait qu’un tiers découvrît son émoi.
    Traversant la cour assez loin de la modeste sépulture de sa mère, il s’étonna d’y voir pourrir et rouiller deux charrues, un râteau, des serfouettes aux manches rompus. Puis il vit la porte du cellier disjointe et le mur d’une grange envahi de lierre, le chambranle d’une fenêtre brisé, une barrique éventrée, des mousses, des orties. Il alla selon ses impulsions, entrant ici et sortant là en tapotant parfois ses vêtements pour en dissiper la poussière. Sauf les logis des serviteurs qui s’éloignaient à son approche – même les femmes –, il était décidé à tout visiter. Bientôt, en quittant la laiterie puis la paneterie dont on avait enlevé les plafonds et les poutres, il se sentit gagné par une maussaderie sans fond et souffrit, de loin en loin, d’éternuements désagréables.
    « Serait-il insensible au sort de son château ?… Non, puisque avec ses fidèles, il continue à le défendre… Il n’empêche pourtant qu’ici tout empunaise la mort ! » Sans en paraître affectés, les reclus de Gratot respiraient cet air d’une moiteur putride qui, davantage que les exhalaisons d’une décrépitude avancée, semblait le relent de cinq ans de résignations, de contraintes, de renoncements douloureux et surtout de peurs lancinantes et justifiées dont les murs d’enceinte, consolidés soigneusement aux endroits les plus accessibles, portaient témoignage. Le cœur lourd, passant de la déconvenue à la peine et parfois à une indignation d’autant plus vive qu’il en reconnaissait l’inanité, Ogier parcourut les bâtiments à la recherche de son enfance prime sans pouvoir y glaner un seul bon souvenir. Même certaines épées, certaines broignes, certains écus de la petite armerie où il aimait à s’attarder jadis avaient subi, faute d’être fourbis et graissés, les atteintes de la rouille : Godefroy d’Argouges s’en souciait moins encore que de sa demeure.
    « Partout la laideur et la déception ! » À trop éponger la sueur glacée des pierres, les tapisseries s’étaient éraillées et flétries. Les scrofules des plâtres se réduisaient en poudre qu’aucun balai ne chassait. Les planchers fléchissaient sous le poids des semelles. Les portes ne se pouvaient clore tant l’insidieuse humidité en avait gauchi chambranles et vantaux. Les autres boiseries se boursouflaient, s’écaillaient, et nul ne se serait risqué à ouvrir une fenêtre par souci de ne pouvoir la refermer. Comme les vents coulis qui serpentaient partout, l’eau fluait, sournoise, corruptrice… sans oublier les sévices des crachins et averses et ceux, plus rigoureux, de leur éternelle

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