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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’appellent Louis, Charles ou Radigo !
    Elle servit Ogier en premier.
    Il huma la boisson pétillante, se grisa de l’odeur de ces pommes transmuées en or frais et juteux. Et il but.
    Le cidre rêche sentait un peu trop la futaille ; mais qu’importait : il chatouillait agréablement les narines.
    Raymond toussota en reposant son hanap ; Thierry dit : « C’est bon », et Aude l’approuva en grimaçant.
    Adelis avait bu sans broncher. Elle avait un regard rêveur – s’ennuyait-elle ? – Bressolles flattait Péronne assagie. Çà et là, des rires s’élevaient. Ces gens accoutumés à l’eau reprenaient tout à coup, l’ambre liquide aidant, des couleurs, de la voix et une alacrité dont ils se délectaient aussi. Il y avait un début de désordre, des éclats de voix, des confidences : « Ah ! on va bien voir, maintenant… » « Il est solide et c’est un chevalier ! » « Vous avez vu son vêtement de fer ? » « Avec ça sur la peau on doit être invincible ! » « Ses compagnons sont aussi vigoureux qu’avenants… » Ogier ne pouvait tout entendre. Accablé de fatigue, il était assourdi par le bruit, les exclamations, les tintements – car l’on buvait à une vie meilleure et au châtiment de Blainville et de ses malandrins. Toutefois, la proximité de cette tombe, au bas du perron, si simple qu’elle eût pu être celle d’un chien, donnait du moins pour lui, à cette jubilation, une turbulence profane. Ah ! certes, il comprenait ce regain de gaieté où se dissolvaient les doutes, les angoisses et les amertumes. Ses amis et lui apportaient à Gratot une énergie et une assurance nouvelles, mais cette liesse, plutôt que de l’alléger, endurcissait son chagrin.
    « Mère, pardonnez-leur s’ils vous oublient. Ils ont souffert avec vous… comme vous… Pour moi, c’est comme si vous étiez morte ce jour d’hui. »
    Les joyeusetés gagnaient en audace ; les hommes se montraient gaillards ; les femmes roucoulaient, caquetaient. Le mot amour jaillissait, moins comme un sentiment que comme un acte. Adelis ne riait pas ; ni Bressolles. En revanche, Bertine s’en donnait à cœur joie. Jeannette s’émoustillait. Isaure semblait moins prude et Jourden plus hardi : ne venait-il pas de flatter l’épaule de Bertrande, puis de la tapoter, d’une paume descendante, jusque sans doute au potron ?
    Aux copeaux des voix emmêlées s’ajoutaient parfois la crécelle et les battements d’ailes de Titus, tellement agacé qu’Adelis se leva et le rechaperonna, ce que le rapace accepta de bonne grâce. Et tandis qu’elle se rasseyait, Jourden interpella cette « étrangère » sans pour autant négliger sa voisine :
    — Est-ce un faucon pudique… ou bien l’êtes-vous trop ?
    Adelis toisa l’inconscient sans daigner lui répondre. Ogier et Bressolles échangèrent un regard. « Ils sont heureux, signifiait celui du maçon. Quelques outrances les soulagent de leurs peines. » Alors, le garçon se tourna vers son père.
    Godefroy d’Argouges qui, dans le passé, condamnait toute licence, tolérait cette ébriété. À l’opposé, penchée sur l’accoudoir de sa chaire, Aude écoutait Thierry. Le rose fleurissait désormais sur ses joues. L’écuyer lui parlait comme à une malade dont le sourire, à lui seul, est présage de guérison. Toute proche, Bertine écoutait Aguiton toujours losengier [127] avec les dames, et portait sa main en coupe à son sein lourd. Madeleine Gosselin buvait le breuvage pétillant que son mari venait de verser dans son gobelet. « Ils vont s’enivrer, ma parole !… Ils sont capables de faire un enfant ! » Et tout en subissant cette joie sans pouvoir s’y intégrer, Ogier songea aux gens de Rechignac. À Mathilde la rudoyeuse ; à Margot Champartel, aussi effrontée que Bertine… Quels élus jouiraient cette nuitée des faveurs de l’une et de l’autre ?… Puis, Tancrède occupa son esprit. Par quels chemins cette ambitieuse chevauchait-elle ? Après qu’elle l’eut abominé, Briatexte l’avait-il subjuguée ?
    « Laisse donc tous ces fantômes ! »
    Difficile. Il demeura plongé dans une sorte d’hébétude ou de rêve éveillé, plein de tumulte, d’exclamations et de rires, dont Barbet le tira tout à coup :
    — Ah ! messire… Nous vous sommes reconnaissants. Vous nous rendez heureux vos compagnons et vous ! Si ces malfaisants venaient cette nuit, eh bien, on les vaincrait sans

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