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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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figuraient des ornements étranges. Des animaux couvraient le pommeau rond, la prise, la garde dont les quillons recourbés s’élargissaient en fer de hache, d’argent plaqué d’or.
    — Quelle belle allumelle [136]  !
    La lame large, à deux tranchants, avait la pureté d’une eau de source et la dureté du granit.
    — Elle est… Je ne trouve point les mots, regretta Godefroy d’Argouges.
    — Ne cherchez pas, dit Ogier dont la gorge se serrait. Elle est digne d’un prince et vôtre maintenant.
    — Oh !… Jamais je n’oserai…
    — Vous aurez tout loisir de la contempler. Vous étiez alosé [137] . Elle vous permettra, j’en suis sûr, de reconquérir votre ardeur et votre vasselage [138] .
    Quelle que fût l’immense valeur de cette épée, ce don apparemment spontané ne constituait pas un sacrifice : Ogier avait décidé de ce geste avant que le sommeil le prît. Il fallait redonner à Godefroy d’Argouges la passion des batailles et, par la magie d’une arme extraordinaire, le persuader de recouvrer son courage d’antan :
    — Soignez cette merveille… et mettez-vous à nettoyer, fourbir et aiguiser toutes les lames enrugnies [139] qui nous entourent : ces hauberts et ces haubergeons ; ces vouges et ces guisarmes, ces épieux, glaives, épées de passot, sans oublier ces heaumes, cervelières et coiffettes de mailles dont certains protégèrent la tête de votre père !
    Ogier désignait les armes d’un index tremblant de male rage.
    — Confortez-vous !… Mes hommes vous aideront volontiers… Il importe que vous touchiez, vous aussi, ces fers et ces aciers afin de vous pénétrer de leur dureté, de leur rigueur… et de la renommée de ceux qui les portèrent, parmi lesquels vous figurez !
    Il n’osait, cette fois, dévisager son père. Il concevait son repentir et son émoi. Il refusa l’arme superbe que le guerrier irréprochable voulait lui restituer.
    — Holà ! dit-il sans que leurs regards se fussent croisés. Je vous ai remis ce présent pour que vous en fassiez un excellent usage, non point pour vous le reprendre ou que vous lui réserviez le sort d’une sainte relique. Je veux vous voir un jour en tête d’une armure [140] . Et par Dieu et messire saint Michel qui nous voient, vous serez ceint de cette épée… Quant à moi, je serai votre gonfanonier !
    Des larmes apparurent sous les paupières lasses. Godefroy d’Argouges ne savait que penser. Un orage intime, lourd de volitions et de sentiments inattendus, le secouait. Étouffant non sans mal un découragement qui, au cours des années, d’affliction en affliction et d’épreuve en épreuve, avait préjudicié son esprit et affaibli son corps, il reconquérait sa vigueur, sa prud’homie ou, plutôt, il essayait d’en réunir les bribes. Il ne pouvait se dérober à la volonté de son fils. Ses joues creuses prenaient de la consistance. De son visage émanait soudain l’éclat inespéré d’un orgueil presque juvénile. Ses yeux, qui reflétaient la brillance mordorée de l’arme, scintillaient non plus par excès de pleurs mais par un regain de confiance et de sérénité. Son corps s’arquait enfin vers l’arrière comme un jonc beau et solide.
    — Soit, dit-il, mon garçon. Je ferai de mon mieux.
    — J’y compte bien. Je vous laisse contempler cette arme. Je fais vœu que, plutôt que de la trancher, cette épée resserre notre affection.
    Ogier allait prendre congé. Godefroy d’Argouges le retint par l’épaule :
    — Te souviens-tu d’Almire ?
    — Ô combien… Je l’ai moult contemplée ici même… Vous l’avez perdue à l’Écluse.
    — Puis-je, selon toi, donner un nom à celle-ci ?
    Ogier acquiesça : il y avait pensé, mais ce n’était pas à lui de baptiser cette merveille.
    — J’ai une idée.
    — Dites-la, Père.
    — J’ai envie de l’appeler Luciane.
    Au seul nom de la disparue, et au risque de se blesser, ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.
    Ogier se dégagea et sortit promptement. Sitôt dans la cour, il pleura tout son soûl sans cesser de marcher.
    — Puis-je vous aider ? s’inquiéta Bressolles qu’il avait failli heurter.
    Fallait-il éviter de relever la tête ? Les larmes, les larmes encore. Était-il décent, pour un chevalier, d’être aussi sensible qu’une jouvencelle ?
    — Cela ira, Girbert… Cela ira…
    Plus loin, Adelis songeuse, occupée à caresser alternativement Saladin et Péronne, murmura simplement

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