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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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admirée, et cette puissance d’homme qu’elle savait désormais à son service, sinon à sa dévotion, lui procurait soudain plaisance et réconfort. Thierry parlait bas : les Goddons, les combats, le sinueux chemin jusqu’à la Normandie. Son élocution lente, sobre, chantante, avait un charme discret auquel Aude se montrait sensible. Raymond, lui, conversait davantage avec Bertine qu’avec Guillemette, Bertrande ou Isaure. En lui aussi, le désir naissait d’être admiré. Digne, et lançant parfois un regard sur Titus, Adelis observait, prêtait l’oreille, mangeait sa part de viande avec finesse, cependant que Bressolles, toujours aussi peu enclin à se nourrir de chair reprenait de la fromentée.
    — Tu verras, demain, que rien n’a changé.
    Ogier dévisagea vivement son père et se jugea en droit de protester :
    — Il me semble que tout a changé, ne serait-ce qu’à cause de cette tombe, devant notre perron. Et nous avons le devoir, pour elle , d’agir sans trop tarder… Non, Père, n’élevez pas la main pour objecter que la revanche est présentement impossible : je le sais. Avant que de nous en prendre à notre pire ennemi, il serait bon de porter l’acier dans sa truandaille !… Ainsi faudrait-il nous emparer de Ramonnet, le questionner sur ses crimes, obtenir qu’il avoue que Blainville les lui a commandés… Le présenter au roi…
    — Sur le chemin de Paris, Blainville te tendrait dix ou vingt embûches !
    — J’ai deux hommes d’armes vigilants, les vôtres le sont aussi : nous saurions surveiller cet aspic nuit et jour… Et nous ne sommes point dépourvus de hardiesse et de fallace [124] pour engager cette petite guerre… et la gagner !
    — Je crains que tu n’ailles au-devant de déceptions innombrables.
    Ogier grogna, découragé. À l’issue de la cérémonie où ce guerrier avait injustement perdu son honneur, il se souvenait d’avoir consolé une sorte de mourant frémissant de souffrance et d’indignation. Qu’il eût retrouvé, au lieu du chevalier humilié, un vieillard – ou presque – à l’aspect de manant, soit : il pouvait l’admettre ; mais que ce réprouvé fut différent d’esprit, non, cent fois non !
    Godefroy d’Argouges leva une main pour un lent geste d’impuissance :
    — Il faut attendre… C’est au roi de me réhabiliter. Or, il paraît qu’il est d’humeur épouvantable… Édouard III lui fait peur. La Boiteuse, sa femme ? Elle ne songe qu’à se venger mortellement de ceux qui lui déplaisent… Leur fils chéri, ce duc Jean de Normandie qu’il nous ont imposé ? Eh bien, il est de plus en plus à leur semblance : vain, cruel, dissolu… Blainville règne sur ces esprits aussi puissamment qu’il y a cinq ans. Par sa volonté, à n’en pas douter, ils ont la mort de bons Bretons sur la conscience… Ils ont fait périr des Normands innocents du complot dont ils les ont accusés. Nous en reparlerons, car il importe que tu saches tout, mais ce soir, je me sens hodé [125]  : la joie, je l’ignorais, peut être épuisante… Holà ! Bertine et Isaure : allez donc au cellier ; ramenez-en quelques chopines que vous emplirez au grand fut… Je sais, tout comme vous, qu’il est quasiment vide, mais nous aurons de quoi nous porter la santé.
    Les femmes disparurent. Décidé à en finir pour avoir l’esprit moins tourmenté, Ogier demanda :
    — Père, avant que vous n’alliez au lit… Que savez-vous encore de Blainville ?
    — Je n’en sais que ce que Gerbold m’en dit… Il paraît que le frère du roi, Alençon, ne l’aime guère… Ce que je sais aussi, c’est qu’il a suivi le duc Jean à Carcassonne et prétend, au retour, avoir combattu les Goddons.
    — J’aimerais savoir où, car le duc n’est jamais venu en Pierregord quand les Anglais l’exilaient [126] .
    — De plus, et pour achever, il a ramené un Navarrais et ses hommes : Radigo… ou plutôt Ruy Diego de Lerga.
    — Nous l’avons, dit Thierry, rencontré dans Coutances.
    — Il paraît, continua Godefroy d’Argouges, qu’il est des familiers de Charles et Louis d’Espagne… Ces deux-là aussi sont des seigneurs fort étranges… Les damoiseaux bien atournés les passionnent plus que les filles.
    Bertine et Isaure revinrent, portant chacune quatre chopines de terre cuite qu’elles posèrent sur la table.
    — Tendez vos hanaps, dit Bertine, et buvons à notre santé en oubliant les méfaits des Espagnols, qu’ils

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