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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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enjoindre d’être plus attentif qu’il ne l’était présentement ? Ils n’avaient guère parolé depuis que le pont de Gratot avait vibré sous les fers des chevaux.
    « L’essentiel est que nous soyons ensemble », se dit-il tandis qu’en lisière de ses pensées affleuraient des scènes de son enfance prime, suggérées par un détail retrouvé de ce terroir où il avait erré, insouciant, soit à pied, soit à cheval auprès de son père : arbres, murets, pentes douces des dunes, rien n’avait changé. Et les événements revivaient en sa mémoire avec tant d’acuité qu’ils semblaient dater de la veille. Chasses, courses, bains dans la mer tiède. Un écuyer, souvent, leur tenait compagnie : Yves de Montmartin, mort d’avoir voulu nager un matin de tempête… Bien que Gerbold leur eût prédit du malheur, et quoique respectueux de sa personne, ils avaient échangé un clin d’œil avant de s’ébaudir une fois hors de sa présence. Or, une lame de fond avait submergé l’écuyer. La mer l’avait gardé dans ses fosses profondes.
    Ces souvenances blessaient son cœur tout autant que la présence tangible mais indéterminée de son père, qu’il ne pouvait que comparer à l’ancienne, indélébile, en dépit du temps et des saisons corruptrices. Si Godefroy d’Argouges, bon gré mal gré, avait fini par accepter sa déchéance, lui, son fils, l’avait toujours refusée. Jamais, cinq ou six ans plus tôt, et même à quelques jours du désastre de l’Écluse, ils n’eussent pu imaginer le châtiment qui les frapperait certes différemment et la désunion née de ses conséquences. Ils avaient vécu heureux l’un et l’autre ; ils n’avaient jamais pris conscience de l’intervalle d’âge qui les séparait. Et quoiqu’il fût demeuré le même, cet écart de vingt-sept ans semblait s’être accru, aggravé d’un grand bond ; l’importance qu’il prenait désormais annonçait – déjà – l’irrémédiable divergence : l’un au Ciel, l’autre sur terre, afin d’y accomplir son purgatoire.
    « Que vais-je donc penser là ! »
    Fronçant les sourcils et regardant autour de lui, Ogier chercha une diversion. Impossible : les fantômes du passé surgissaient en sa mémoire, tels ces alouettes et ces étourneaux jaillis des herbes échevelées par le vent.
    — Ah ! mon fils, nous avons bien souvent chevauché par ici… Ce matin, je revis… J’ai dix ans de moins !
    Pour la première fois depuis son retour de l’Écluse, cet homme triomphait d’une affliction dévorante. Il renouait avec le plus commun des plaisirs enfuis : se laisser porter par un cheval. Il humait à grands traits d’odeur du large et des pentes givrées de rosée tout en contemplant la brande mamelonnée, coupée de ruisseaux, panachée d’arbustes, au-delà de laquelle, scintillante, rampait la mer ; et golfe verdoyant, le bois de Gonneville au fond duquel s’ouvrait un chemin vers Coutances.
    — C’est bien, Père… C’est bien.
    Ogier regretta qu’Aude n’eût pu jouir d’une pareille accalmie. Le sommeil seul pouvait lui offrir l’évasion. « La pauvre !… Puisqu’elle reste en deçà des murailles, quel gars, avant Thierry, lui procurait ces fleurs destinées à Mère ?… Courteille ou Desfeux ? » Il les avait vus : cœur d’or, assurément, mais visages ingrats. « Thierry est d’une autre espèce ! » Il dut se rendre à l’évidence : plus encore que leur père, Aude éveillait en lui la mélancolie du bonheur.
    — En revenant, mon fils, nous ferons un détour. Nous irons abreuver nos chevaux dans la Siame.
    Elle prenait sa source à proximité de Gratot pour couler d’est en ouest et parvenir à la limite d’Agon. Elle avait une eau claire que les bêtes appréciaient. L’on pouvait s’y tremper, l’été, avec délices.
    — Oui, père, nous irons… Nous irons même à basse iau [144] si tu en as envie.
    Ogier, par fragments, réintégrait sa jeunesse. Dans les dunes poussaient le milgrai aux feuilles longues, enroulées, piquantes ; la glinette aimée des moutons ; les ajoncs et le bouais-Jean épineux aux fleurs d’or ; le panicaut griffu et, dans les creux ouverts aux marées, la salicorne, que Luciane d’Argouges préparait elle-même et qu’elle servait, confite dans du vinaigre, en assaisonnement…
    — N’avançons plus, dit Godefroy d’Argouges, recouvrant tout à coup le ton du commandement.
    Surpris dans sa méditation, Ogier

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