Les fleurs d'acier
nous leur tombons sur le dos.
— Ce pré me paraît propice à une escarmouche.
— Oui, Père. D’où nous sommes, Blainville et ses guetteurs ne verront rien, et le vent emportera les cris vers la terre… Aucun malandrin n’accourra à la rescousse de ceux qui vont passer. Comme vous êtes mal armé, vous attendrez que nous ayons estoqué l’un ou l’autre de ces malfaisants pour sortir du couvert et ramasser son épée.
— Ils arrivent ! dit Raymond.
— Nos chiens.
— Laisse-les agir, Thierry.
— Bon Dieu, grogna Godefroy d’Argouges tandis que les fugitifs passaient à bride abattue, le premier de la meute, le gars en noir sur le destrier blanc, c’est Eudes !… C’est Blérancourt !
— Tant mieux, Père ! La Providence est de notre côté ; la stupeur fera le reste.
Blérancourt passa, penché sur son coursier. Ogier entrevit le plumail vermeil piqué dans son chaperon coiffé en crête, les mailles sous la livrée, l’épée nue contre le mollet. Puis un larron survint, et enfin, groupés, les huit autres.
— Nous serons à quatre contre dix, compagnons, puisque les fuyards n’ont pas d’arme. Si tu le peux, Thierry, essaie d’aider ces deux hommes ! Car je présume, s’ils sont honnêtes, qu’au lieu de continuer à fuir, ils viendront se joindre à nous… Allons-y !
Ogier talonna Marchegai.
Il surgit du fourré dans un arrachement de feuilles, de brindilles et galopa l’épée haute dans l’aboiement des chiens comme au débucher d’une harde. Emporté par une joie haineuse, il rejoignit la bande avant qu’un seul malandrin eût fait volte-face. Il se fraya la voie par le milieu tant était grande la confusion que son apparition provoquait, et d’un taillant assené d’une main, fracassa l’épaule du premier gars sur la défensive. Comme ce cavalier en hurlant basculait, il abattit des deux mains cette fois, Confiance sur son cou. Le corps à demi décapité ploya sur le côté ; le cheval apeuré par l’irruption et l’odeur du sang, rua et perdit son fardeau.
Ogier, satisfait, poussa Marchegai dans la brèche. Il travailla un nouveau larron de la pointe et du tranchant. Se retournant sur un cri de Thierry, il esquiva un coup destiné à son dos, puis relança son adversaire : trente ans, un museau chafouin, graisseux, sous une calotte rouge.
« Et si c’était un Navarrais ?… On dit qu’ils se coiffent ainsi. »
À l’arrière, des tintements et des cris révélaient qu’on se battait âprement. Un moment, il craignit que son père ne fut en mauvaise posture. Non ! Non ! Il devait être armé, désormais. Il avait trop manié l’épée pour succomber, fût-ce contre deux adversaires.
Il entendit un râle et un ricanement : Thierry venait d’occire son homme.
« À moi d’abattre le mien ! »
C’était sûrement un Navarrais. Son épée longue aux quillons contrariés sentait son inspiration sarrasine. Le coquin la serrait d’une main épaisse, et pour porter une estocade, il se pencha. L’éclair de sa lame passa si près de l’œil de son cheval que celui-ci, effrayé, se cabra, le désarçonnant. Il tomba rudement, se releva sans sa coiffe, mais l’arme toujours au poing.
— Laisse-le-moi, fils… et méfie-toi de notre écorcheur !
Ogier pivota.
Il était temps ! Eudes de Blérancourt survenait, son destrier lancé contre Marchegai qui, de lui-même, évita le heurt.
Confiance tinta et repoussa l’épée adverse, tenue d’une dextre ferme, experte.
« Ce varleton [145] à visage de pucelle est bien de la force d’un homme ! » Riposte. « Et il revient ! »
Nouvel assaut, assorti d’un bref ricanement :
— Vous allez périr, les Argouges ! En vous interposant, vous nous rendez service !… Pas besoin de forcer vos murs !… Une fois morts, et avant midi, nous entrerons à Gratot !
Ogier riposta si violemment que Blérancourt, sous le taillant destiné à sa tête, en perdit son chaperon.
— Va te faire aimer, bardache [146] et sache que je suis moult heureux : tu vas enfin t’acquitter des tourments que tu infligeas à mon père dans sa geôle de la Broye !
Le suppôt de Blainville était vêtu de noir : gants noirs dont les rebras de velours lui montaient aux coudes ; hoqueton de camocas [147] sous les pans duquel luisaient des mailles serrées ; cuissots et jambières de fer peints en noir. Les ergots des éperons montraient des extrémités vermeilles : Blérancourt
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