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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’aperçut qu’ils étaient parvenus sur une éminence, en lisière d’une des cornes du bois. À leur gauche, la lande ondulait, festonnée de larges rubans de sable gris ; en contrebas, livide, trapu comme un moutier avec sa tour en façon de clocher, le manoir de Blainville apparaissait dans les entrelacs des ramures. Blondes, épaisses, trois fumées mêlées au-dessus des ardoises révélaient de grands feux craquants, des rôtissoires bien garnies ; la bonne chère et le bien-être.
    — Père, comment avez-vous passé tous ces hivers ?
    — Fort mal. Nous n’avons jamais pu bûcheronner à l’aise, redoutant toujours d’être assaillis puisque, de temps en temps, des sagettes sifflaient sur nos têtes… Et il a fait si froid à la Noël dernière que nous avons brûlé certaines poutres et quelques planchers.
    Ogier en savait suffisamment, désormais, sur l’existence à Gratot. D’ailleurs, le brouillard s’étant complètement dissipé, le présent exigeait son attention ; il percevait dans l’air une menace diffuse ; les chiens eux-mêmes y semblaient sensibles : flairant le vent plutôt que le sol, ils gémissaient et haletaient bruyamment. Là-bas, dans le champ du moulin aux membres immobiles, des moutons et des vaches paissaient ; et des oiseaux planaient très haut comme pour mieux chauffer leurs ailes au soleil.
    — Eh bien, qu’en pensez-vous ?… Tout cela paraît respirer l’innocence !
    — Voire, grogna Raymond.
    — Cinq ans, dit Godefroy d’Argouges. Cinq ans que je n’ai pu venir jusqu’ici, à une lieue de chez moi !
    Confronté enfin à la demeure de son bourreau, le vieillard avait empoigné la prise de son arme. D’un mouvement du menton, il enjoignit la prudence au sergent et à l’écuyer tandis qu’Ogier maîtrisait Marchegai piaffant d’impatience :
    — Holà, mon tout beau, fais comme moi : sois quiet.
    Pendant la nuit, ne pouvant une fois de plus fermer l’œil, il n’avait imaginé qu’actions et battements de lames ; il n’en éprouvait plus qu’un désir attiédi. Défier Blainville ? Quelque chose d’indécis le dissuadait de galoper vers ce grand portail ouvert et de jupper en agitant son poing : «  Holà ! vous tous… Holà !… Goujats ! Merdailles ! Je vous confirme mon retour. Quiconque me cherchera me trouvera et s’en repentira ! » Thierry grogna :
    — Faudrait-il peut-être nous en retourner ?
    — Tu as raison, Champartel, dit Raymond. Il se peut que ces malandrins soient sortis cette nuit. Ils peuvent nous tomber dessus par-derrière. Comme le vent est contre nous, les chiens ne pourront nous prévenir.
    — Partons-nous, mon fils ?
    Sans répondre, Ogier continua d’observer le manoir. D’où lui venait pareille hésitation ? Pourquoi tremblait-il tant ? L’anxiété ? L’émotion ou bien, tout simplement, cette fraîcheur pénétrante à l’entour de sa personne et dont il s’était déshabitué ?
    — Si tu tiens à demeurer, nous resterons.
    Le garçon vit dans le regard de son père une lueur si nouvelle et si claire qu’il lui sourit :
    — Vous ne vous accommodez plus, semble-t-il, de cette idée que ces démons ont la force et l’avantage ?
    Il exagérait : même éloigné de deux cents toises, le manoir de Blainville continuait d’exercer sur eux une fascination singulière.
    — Sache-le bien, mon fils : je n’ai jamais craint ces linfars pour moi-même. Malgré l’espoir de recouvrer mon bonheur et ma place, la mort m’eût été souvent délivrance.
    Un frisson agita Godefroy d’Argouges ; il se dressa sur sa selle, les sourcils froncés sous son chaperon informe, la bouche pincée, le menton ferme. Ogier reconnut le chevalier de sa jeunesse, le grand seigneur affranchi de toute crainte, ennemi des courtoisies et menées cauteleuses ! Ce fut court : les genoux ployèrent, l’échine se tassa et le front s’inclina.
    — Voyez donc ! s’écria Champartel.
    Deux cavaliers venaient de franchir le portail. Ils allaient impétueusement, tels des messagers porteurs de nouvelles urgentes.
    — Bon sang ! dit Godefroy d’Argouges. Que préparent-ils là-bas ? Et contre qui ? Il ne faudrait pas qu’en notre absence tous ces convoiteux décident d’assaillir Gratot !
    Ogier feignit l’indifférence :
    — Allons, Père !… Ces gars ne sont que deux… Nous sommes en plein jour. Les truands dont vous m’avez entretenu n’agissent que de nuit…
    Il observa

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