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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’éveillera, il aura repris des forces.
    Écartant les courtines dont la vieillesse avait azuré le bleu sombre, Ogier vit sur l’oreiller le visage serein du blessé puis, sous la couverture, le relief du corps immobile. À son esprit, et dans sa sévérité la plus crue, l’évidence se présenta : « Il s’est bien battu à coups de lique [156] . D’autres auraient déguerpi ! » Pourquoi s’apitoyait-il ? Et surtout pourquoi se merveillait-il ? Ce gisant était un allié d’Édouard d’Angleterre !
    — Que faisait-il, messire, au manoir de Blainville ?
    — Je ne sais, Adelis… Je n’imaginais pas Jean de Montfort ainsi.
    La noblesse de ses traits, sa simplicité, sa volonté d’atteindre Gratot sans gémir alors que chaque pas de Marchegai avivait ses souffrances ; la reconnaissance rude mais profonde qu’il avait manifestée en franchissant le seuil du château formaient une sorte de contradiction à cette vérifié formelle : « C’est un ennemi. » Quels rêves, quels desseins, quelles amours et quelles exigences avaient animé jusqu’à ce jour ce visage fixe et blafard ?
    Sans qu’il l’eût voulu, un écheveau de scènes odieuses se dévida dans la tête d’Ogier. Des batailles, du sang – éclaboussant, ruisselant et gouttant –, des mailles et des cuirasses ouvertes sur des palpitations vermeilles ; des hennissements et bronchades de chevaux, ces innocents dont le sort ne souciait personne – ou si peu –, des hurlements, des râles singultueux et des ondulations de bannières…
    « Cet homme a provoqué une guerre. La pire, la fratricide : Bretons contre Bretons… Toutes les guerres sont fratricides… Qui m’a dit cela ou quelque chose d’approchant ?… Robert Knolles… Il se peut que Montfort le connaisse. »
    Cette bouche exsangue avait hurlé à la mort. Appétit du pouvoir ou de simple justice ?… Innocent ? Non. Alors, Charles de Blois, son rival, l’était-il ? Comment le savoir ? Un seul fait importait pour le moment : Jean de Montfort blessé reposait à Gratot.
    Ogier respirait à grands traits. Sa stupéfaction de tenir un aussi grand seigneur à sa merci l’emportait sur son plaisir d’avoir pu entamer sa vengeance. Grâce aux deux Bretons, il avait mis Blérancourt et ses neuf larrons échec et mat. Blainville ne pouvait plus ignorer ces trépas. S’il les avait imputés aux gens de Gratot, sa revanche prendrait-elle effet dans la nuit ? « Il va falloir tripler les guetteurs ! » Et Montfort ? Qu’allaient-ils en faire ? « Si nous le livrions, peut-être que le roi… » Ce lambeau de pensée lui parut répugnant. Il chuchota, tout en s’approchant d’Adelis :
    — Au cas où il succomberait, ce à quoi je ne tiens pas, nous l’enterrerions près de son écuyer, dans le sol de la tour ouest, en attendant des temps meilleurs pour le mettre au cimetière… S’il vit…
    Adelis semblait l’écouter à peine. Elle tournait lentement la manivelle du rouet tout en considérant le blessé sans compassion ni haine.
    — La Bretagne n’est pas mon affaire, m’amie. Les quelques parents que nous y avons ne sont jamais venus vers nous, et pourtant, mon père est en partie Breton par sa grand-mère : Yvonne de Tinténiac.
    — Votre père souhaite qu’il guérisse.
    — Moi également. Je l’aiderai s’il le faut. Nul d’entre nous ne peut sortir [157] ce qu’il deviendra ensuite.
    Tourné derechef vers le lit, Ogier regarda cette tête d’évanoui, trouvant le front bombé plus spacieux et les rides, autour des paupières mal closes, plus profondes qu’il ne l’avait cru. Un tremblement, parfois, animait les lèvres pâles d’où sourdait un souffle inégal.
    — Tous ici savent qu’il est Montfort ?
    — Oui, messire. Et nul ne paraît chagrin que vous l’ayez ramené.
    Sous la frange des cheveux blonds, les yeux d’Adelis brillaient, diaprés de vert. Il devait parler, parler encore, dissoudre entre elle et lui un mésaise naissant :
    — Son destin doit s’accomplir dans son pays, nullement dans le nôtre.
    — Je le pense aussi, messire. Il a souvent appelé une Jeanne, crié qu’on la lui rende… Il semble qu’on la tienne captive… Il vient de s’apaiser.
    Droite dans sa robe de tiretaine rouge, un présent ou un prêt d’une des femmes de Gratot, Adelis incarnait l’indulgence et l’attente. Se souvenant soudain de sa nudité, Ogier revit la gorge fière, les flancs incurvés grêlés

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