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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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paupières bleutées puis toucha le bout de son petit nez, exhalant, par ce mouvement, un arôme de chair et de fleur – l’églantine sans doute. Négligeant non sans ostentation les convives vis-à-vis d’elle, bien qu’elle eût deviné qu’ils appartenaient à la Fleur de la Chevalerie, elle confia lentement, sans trop chercher ses mots :
    – Nous connaissons le roi, ma mère et moi. Ses paroles chaleureuses et ses fureurs terrifiantes. C’est un capiteux 286 dans le bien comme dans le mal. Je l’ai vu réjoui par ses victoires sur don Pèdre et confirmé dans le succès par les louanges qu’il recevait, puis soudain pris d’amertume au souvenir de ses revers qui sem blaient alors comme les signes… Je veux dire : l’anun-cia cion d’un déclin fatal. Comme je lui faisais remontrance et affirmais que ce qu’il ressentait était comme un vertige dû à la hauteur de son règne, il m’a répondu que ce qu’il éprouvait en ces occasions pouvait se comparer à mon état de femme, belle, gaie, adulée, lorsque je découvrirai ma première ride, cette… garra (544) , je veux dire cette égratignure de la mort.
    – Vous n’en avez point encore… et une ride, pour moi, souligne un trait de caractère insuffisamment révélé jusqu’à son apparition.
    Elle sourit, remua son cou haut et ferme où glissait une veine encore imperceptible. Tout semblait dit. Ils feignirent de s’intéresser aux convives sans souci de l’entretien d’Ogier d’Argouges et de dame Carmen.
    On avait placé Calveley à une extrémité de la table, de façon que sa haute carcasse fût rapetissée par cet éloignement, et pour qu’il ne s’ennuyât point, on avait adjoint, de part et d’autre de sa personne, deux dames grandes par la taille dont les hautes coiffes étirées dépassaient à peine ses épaules. À les voir roucouler et acquiescer à ses propos effrontés, il faisait peu de doute que leur cœur palpitait d’envie de connaître ce grand corps allongé ailleurs que dans un lit où il n’eût pu tenir. Parfois, entre deux ébaudissements, le visage du grand Hugh, bruni par les éléments, semblait se figer pour toujours dans une expression morne et pensive tandis qu’il laissait les deux dames échanger entre elles et en aragonais des propos désobligeants sur elles-mêmes.
    – Elles vont se le disputer, dit Inès. Je les connais bien.
    – Il semble qu’elles l’ennuient.
    À la table voisine, réservée aux hommes d’armes -une trentaine -, point de femmes. Lionel y parolait avec ses compagnons. Certains l’écoutaient, d’autres pas. Il n’y avait qu’une arbalète posée contre le mur : la sienne avec, allongée dessous, sa trousse de cuir pleine de carreaux.
    « Il doit coucher avec », se dit Tristan.
    Il ne méprisait ni ne haïssait ce huron. Il l’examinait comme il eût examiné un champignon mortifère. Assez proche de Guesclin, don Alfonso parlait peu, occupé parfois à échanger trois mots dans sa langue chantante avec une dame brune dont les joyaux insolents par leur nombre et leur énormité eussent éplapourdi Espiote, Naudon de Bagerant, le Petit-Meschin et leurs compères s’ils les avaient entraperçus. Sa tête petite et ronde, fardée, semblait parfois ressentir le poids d’un frontal d’or orné d’une mousseline. Les deux tresses qui s’en dégageaient sinuaient le long de ses seins comme pour en exalter la courbure.
    – Qui est-ce, damoiselle Inès, si ce n’est trop vous demander ?
    – Une ancienne barragana de clérigos… la concubine d’un prêtre. Quand il a trépassé, elle s’est convertie, si j’ose dire, en épousant un riche seigneur que le roi honore de son amitié. Dénia, par ma foi, en paraît amouré…
    Les yeux étirés comme ceux des biches riaient autant que la bouche. Tristan vit les doigts longs de sa voisine battre la mesure de part et d’autre de son écuelle. Qu’éprouvait-elle à son endroit ? Le jugeait-elle aussi falourdeur 287 que les autres ?
    Inès se leva. Il la vit marcher vers le seuil de la salle. Elle ondulait des hanches. Il entendit bruisser sa robe lumineuse et le petit claquement de ses socques dorées, aux pointes crochues. Le mayordomo hurla : « El Rey ! » Les Aragonais se levèrent ; les gens de France en firent autant. Il y eut une sonnerie de trompettes et Pierre IV apparut, précédé de deux massiers et quatre alguacils en tabardos frappés des armes de l’Aragon et suivi par six hommes

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