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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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deviendraient de farouches hommes d’armes, voire d’impitoyables routiers.
    Le marché dépassé, la cité s’assagit. Excepté les grandes voies bordées de belles maisons mystérieusement closes, comme pour s’opposer aux feux pourtant attiédis du soleil d’hiver, le reste de la cité n’était qu’une confusion de ruelles, de venelles maintenues dans une sorte de paralysie crépusculaire sous les lourds encorbellements des bâtisses de bois et de briques. Il fallut cheminer à la queue leu leu, voir les chevaux patauger dans la fange gluante de quelques rues profondes avant d’avoir tout à coup la révélation d’une place vaste et soupirer d’aise : on venait d’atteindre le cœur de Barcelone. Dans une sorte de château, en face, des cors sonnèrent et des chapels de fer remuèrent aux créneaux.
    – Messires, dit Dénia en immobilisant son cheval, les nobles hommes auront une chambre en ces murs. Certains autres trouveront à se loger dans la cour. Nous sommes peu nombreux, cet espace devrait suffire.
    Ceux qui avaient rêvé de coucher en ville ne purent dissimuler leur consternation.
    – Nous resterons dans la cour, dit Ogier d’Argouges.
Je vous y trouverai un lieu paisible, promit Paindorge.
    –  Nous ferons, dit Tristan, comme depuis toujours ; nous veillerons deux par deux sur les chevaux, Carbonelle et nous-mêmes.
    Il pensait à Lionel et à ses hurons. Mais qui, en cet instant, n’y pensait pas ?
    – Le roi nous voit, dit Dénia en désignant une fenêtre. Vous lui serez présentés demain lors du festin qu’il vous fait préparer… Entrons, messires !
    Les trompettes sonnèrent une fois encore. Le grand portail du château s’ouvrit. Quand il se referma, Tristan sentit qu’il s’était engagé dans quelque chose d’autre que la guerre. Quelque chose d’aussi violent et d’irréparable. Mais quoi ?

V
     
     
     
    En se rendant à l’invitation du roi d’Aragon, Tristan s’était préparé à découvrir un palais aussi bellement érigé que le Louvre : des tours nombreuses, d’une contexture pour ainsi dire efféminée ; des appartements d’une grave beauté rehaussée de meubles et objets de valeur. Contrairement à son attente, il eut la sensation d’entrer dans un énorme couvent aux murs blancs sur lesquels aucun peintre n’avait affirmé sa foi, soit en Dieu soit en la royauté aragonaise. C’était une succession de salles austères, grandioses – à peine moins froides que le temps. Cette sévérité, quelques tentures, quelques tapisseries s’essayaient en vain à l’atténuer. Des lignes droites, d’immenses surfaces désertes aux proportions rigoureuses avec, çà et là, plus il avançait, l’harmonieuse apparition d’une fresque en cours de composition ou la magnificence des vitraux déployant d’impondérables tapisseries sur des dalles blanches et vermeilles.
    – Brrrr ! fit Jean de Neuville. Je préfère encore Vincennes, le Temple ou le Châtelet.
    – Tu as raison, mon nieps (542)  ! s’exclama Audrehem.
    Mais quel éblouissement que cette basilique Sainte-Eulalie où je m’en fus prier à l’aube.
    – Prier pourquoi, mon oncle ?
    – Tiens donc, pour notre bonne fortune !… Ce château me fraîchit des épaules aux pieds.
    – Et moi pareillement ! Ces gens ne savent point accommoder la beauté.
    Ce mépris s’expliquait sans doute par la dépravation d’un goût dont ces deux-là se croyaient pourvus et l’envie d’étaler, sur les créations des Aragonais, une supériorité aussi vaine que malvenue. Leur œil gonflé d’orgueil scintillait tandis qu’ils bom baient leur pourpoint de velours sang-de-dragon tout en tapotant leur passot 282 .
    Tristan d’un pas égal se mit à suivre d’assez loin les deux compères. Tout comme Ogier d’Argouges à sa dextre, il s’était vêtu aussi simplement que possible. Pour toute arme, il n’avait qu’une dague à rouelles 283 dont la fusée de chêne avait été sculptée en colonne torse par Tiercelet.
    Le paletoc sur l’épaule, il marchait avec une assurance un tantinet forcée car au fond de lui-même, il se sentait désenchanté.
    Deux tables étaient dressées dans une salle immense. Le spectacle qu’elles offraient tant par les monceaux de victuailles en montre sur chacune d’elles que par la splendeur des couverts et des ustensiles divers dont l’argenterie scintillait fit pousser des cris à certains gouliafres, tandis que d’autres, d’une voracité

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