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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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chiquenaude elle épousseta quelques miettes de pain, comme si ce regard embrasé les eût pu calciner.
    – Cet homme me déplaît, dit-elle tandis que ses lèvres soudain dissimulées sous ses doigts, exhalaient un souffle où Tristan perçut, mêlées, de la rage et de la détestation.
    –  Il vous remire 292 . Vous le merveillez… Confortez-vous en pensant qu’admirer, c’est toucher sans accomplir un geste… C’est un pétau sans attemprance 293 . Faites en sorte de n’être jamais seule où que vous alliez. Jusqu’à notre départ, verrouillez tous vos huis. Nous sommes un ost de coquins…
    On servit du vin d’Aragon dans de hautes cubiletes de Talavera, une cité réputée pour ses poteries. On emporta les écuelles. Les jouvencelles réapparurent avec d’autres couverts dans lesquels, bientôt, elles déposèrent des perdrix rôties.
    – Perdrix ? fit Bourbon en se penchant. Elles sont moins grosses qu’en France.
    – Moins épaisses encore qu’en Bretagne, dit Guesclin, de loin. Ces oiseaux-là ne sont que des femelles… Pas de mâle… S’il y en a, ils n’ont pas de nom.
    – Si, dit Tristan penché, résolu et rieur. Le mâle de la perdrix s’appelle un garron, mais il se peut qu’il n’y ait aucun mâle en Bretagne.
    C’était bien dit. On sourit. Guesclin se renfrogna, fouetté par une allusion qui ne concernait pas que les oiseaux.
    –  De minimis non curât praetor 294 , dit un évêque à l’un de ses frères de robe. (Puis, tourné vers le Breton :) On nous avait annoncé la venue de l’ost de messire Charles Quint. Or, il n’est point venu à Barcelone… L’auriez-vous perdu en chemin ?
    Le ton était serein, la moquerie certaine. Et l’inquiétude.
    – Il viendra, il viendra Votre Grandeur… N’ayez crainte.
    Mot malheureux, car le prélat craignait justement cette armée. Il devait être informé sur la truanderie qui la composait et les crimes auxquels elle devait son affreuse renommée.
    Contrarié par les propos du prélat, le roi loua le courage des Français sans pour autant les avoir vus à l’œuvre.
    – Avec vous, dit-il à Guesclin, je sais que mon cousin Enrique s’assiéra bientôt, à Burgos, sur le trône de Castille.
    – À Burgos ? s’étonna le comte de la Marche. Je croyais que ce serait à Tolède.
    – Burgos et non Toledo, messire. Ne pensez point que ce sera chose aisée d’introniser Enrique. Pèdre et tous ses fidèles se dresseront devant nous et nous les devrons affronter.
    – Où est Henri ? s’enquit Guesclin comme s’il s’inquiétait d’un compère.
    – Nous ne tarderons pas à le voir paraître.
    On se remit à manger. Après les perdrix, des garçons vêtus aux mêmes couleurs que les jouvencelles apportèrent de gros chaudrons pleins de zarzuella et de siquet depeix (545) . Les sauces étaient assaisonnées. Tristan s’aperçut que Bourbon lampait comme s’il n’avait pas bu depuis Perpignan. Un lourd hanap en main, le Bègue de Villaines, au lieu de chercher ses mots, cherchait sa bouche : il avait fait un usage immodéré d’un vieux vin de Valdepenas que le roi d’Aragon conservait dans une cave dont seul son sommelier possédait une clé. Guesclin engloutissait sans souci des arêtes. Audrehem, lui, les craignait. On passa du vino tinto au vino blanco pour déguster des hérons qu’on présenta habillés de leurs plumes et comme une halte s’imposait aux gorges et aux estomacs, on fit venir un trovero qui portait dans son dos une guiterne enrubannée aux couleurs de l’Aragon et de la France. Il était jeune, imberbe, l’air compassé. Après qu’il eut gratté toutes ses cordes, il chanta d’une voix forte, roucoulante, les malheurs de la reine Blanche.
    –  Il conte, dit Inès, comment une duena… une dame de parage est venue prévenir la reine qu’on l’allait occire…
    … Aquesto vino a la reyna
    Y lallo la en oracion,
    Quando vio el ballestero
    La su triste muerte vio.
    Aquel le dixo : « Sehora !
    El rey oca embio,
    À que ordeneys vuestra aluna
    Con aquel que la crio ;
    Que vuestra hora es llegada ;
    No puedo alargarla yo . »
    « Amigo, dixa la reyna
    Mi muerte os perdono yo.
    Si el rey, mi sinor, lo manda
    Haga se lo que ordeno.
    Confession no se me niegue
    Sino, pido a Dios perdon… (546)  »
    Dans le silence on entendit quelques sanglots. Les dames compatissaient au sort de la reine Blanca que certaines avaient entrevue. Guesclin se courrouça, non point pour ce

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