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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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semblait inquiète. « Pourvu », songea Tristan, « que les gobelins que nous avons laissés en arrière ne cèdent pas à leurs penchants ! » Un Naudon de Bagerant pouvait essayer de résister aux rapines, viols, embrasements. Résister un jour ou deux. Mais les autres ? Espiote et le Petit-Meschin, ces triaverdins 280 avides des biens ecclésiastiques, le dissuaderaient de se montrer honnête.
    – Là-bas, dit Dénia, son bras de fer tendu, c’est la basilica de Santa Eulalia, où reposent les restes de la sainte. Et plus à senestre, Santa Maria del Mar qui n’est point achevée. Puis San Pablo del Campo qui fut en partie restaurée par Guitard – celui qui bâtit le Castillet de Perpignan -, et cette montagne, là-bas, le Tibidadp qui domine Barcelone.
    Nouveau silence. Crépitements des fers des chevaux, tintements des lormeries ; parfois un éternuement car le froid semblait s’aggraver. Le rose des murailles s’adoucit ; le gridelin de certaines tours devint plus sombre.
    – Nous y voilà, dit Dénia.
    Ils franchirent une porte gardée par des arbalétriers et des picquenaires qui présentèrent les armes et la cité s’offrit à eux tandis que les trompettes, en lançant leur cri, dégageaient la voie non sans mal car c’était jour de marché. Guesclin désigna les vélums misérables sous lesquels s’affairaient les marchands :
    – Par Dieu, ces toits de toile, on dirait des rosconnes 281  !
    Et de rire sans fournir de précision à Dénia qui, commençant à connaître son homme, fit le sourd une fois de plus.
    Il y avait, sous les auvents rustiques, des oignons disposés en guirlandes, des montagnettes de pommes et de piments, des bassins contenant, vivants, des poissons et des langoustes, crabes, crevettes de toutes tailles ; des vendeurs de galettes étalaient la pâte sur leurs fourneaux, et d’autres des beignets dont la cuisson dégageait une fumée bleutée.
    – Voilà des friandises qui sentent peu, dit Ogier d’Argouges, mais je comprends pourquoi. Regarde, Tristan.
    Des branches de sapin et de pin étaient suspendues à des cordes, au-dessus des têtes, et certaines perdaient encore quelques gouttes de leur sève. En se flétrissant, elles répandaient un arôme dont l’âcreté effaçait celui des friandises. C’était moins pour la venue des Français que pour la célébration du dernier Noël qu’on avait démembré, peut-être massacré de beaux arbres. Des palmes mutilées jonchaient le pavement et des chevaux glissaient, suscitant des cris parmi les femmes rangées de part et d’autre du passage.
    Le soleil caressait les rondeurs des amphores, des poteries et des pichets aux couleurs vernissées dressés en pyramides. Le safran prenait l’apparence de l’or ; le vermillon, çà et là, semblait un coquelicot géant précocement éclos. Tout proches, des chevreaux et des agneaux dont les robes s’étaient ternies pleuraient une mort violente et précoce avec leur sang qui tombait goutte à goutte. On pouvait voir des quartiers de bœuf, des amoncellements de saucisses ; entre des parcloses de bois, des volailles liées par les pattes. Un bourrelier vendait des sacs de cuir, un autre des sandales. Hommes, femmes, enfants composaient un ramassis de peaux basanées et de vêtements aux couleurs vives et vivaces car, reconnaissant Dénia, la plupart battaient des mains.
    – On ne voit pas de si belles choses en France, dit Audrehem. Par Dieu et tous les saints, j’en ai l’eau à la bouche !
    Soudain sortis des ténèbres d’une ruelle, des galopins maigres, accoutrés de guenilles, se mirent à courir, à hurler, supplier qu’on leur fît l’aumône. Certains s’aidaient d’un béquillon, d’autres clochaient parmi cette horde en délire. Tristan vit, tendues vers lui, des mains sales, parfois privées de quelques doigts, des têtes hâves, émaciées, hirsutes, pustuleuses, aux fronts couverts de bandeaux ; des regards éplorés, malicieux, glauques, exigeants. Çà et là, un seul œil, l’autre sous une compresse grise, teintée de sang. Entiers ou éprouvés, ils imploraient de leurs bouches souvent édentées, victimes des combats qu’ils se livraient entre eux avant de conclure des trêves aussi précaires que leurs batailles. Quand les trompettes sonnèrent une fois de plus et que Dénia eut donné un ordre, les épées des Aragonais, jaillies hors des fourreaux, dispersèrent, par leurs seules lueurs, ces victimes dont les survivants

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