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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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d’avoir chassé le Cruel. Les Français ne comprenaient rien à ces discours. La plupart souriaient béatement. Jean de Neuville remuait un peu trop sur sa selle. « Il n’a pas pissé depuis quatre lieues », songea Tristan. Jean de Bourbon, tête basse, semblait prier. Pour lui, tout était simple : il voulait venger Blanche. Antoine de Beaujeu bâillait. Les trois vierges reculaient doucement. Deux autres, dans des atours différents, apportèrent à don Henri une petite corbeille de fruits et de sucreries. Le Bâtard de Castille lança deux pommes à la foule et les jouvencelles posèrent le corbeillon près de son cheval.
    – Avez-vous vu, beau-père ? demanda Tristan.
    – Oui… Sous les fruits, des lueurs. Quelques poignées d’écus. Il y en aura d’autres.
    Telle était la façon des gens de Calahorra d’exprimer leurs craintes d’une mise à sac, non point par l’armée de Pèdre, mais par celle dont on pouvait entendre, au pied des murailles, le remuement maléficieux. Tandis que cette rumeur, sous l’influence de quelques excités, devenait plus forte, partant plus redoutable, le malaise qu’elle provoquait toucha les manants, pénétra leurs magistrats et contamina les chevaliers. Il eût fallu rassurer cette bonne gent tout entière, or, Guesclin, abruptement et hautement, posa la question qui le hantait depuis Paris et qui n’avait jamais cessé de le turlurer :
    – Y a-t-il des Juifs et des Mores dans cette ville ?
    Le silence devint presque tangible. Tristan vit des visages se durcir et se clore, des poings se serrer. Ogier l’Argouges se pencha :
    – Sais-tu, Tristan, qui, à lui seul, ce malandrin me rappelle ? Les flagellants, lors de la grande pestilence, ils en avaient rendu les Juifs responsables et les pourchassaient afin de les occire en d’affreux tourments. Ce luron de Petite-Bretagne tient moins à vaincre Pèdre qu’à se livrer à des énormités. Sa Tiphaine l’a-t-elle fait cocu avec un Juif pour qu’il en veuille ainsi à la race tout entière ?
    – Jadis, beau-père, Simon de Montfort guerroya contre les bonnes gens de chez nous. Parce qu’il se prenait pour le bras de Dieu, il commit des abominations dont on frissonne encore… Guesclin est à sa semblance, sauf qu’il se prend pour le bras du roi… Le bras au bout duquel pend une main malade.
    – Nul ne répond à sa demande. Le bel Enrique met pied à terre. Faut-il que nous l’imitions ?
    Il y eut un moment d’incertitude. Guesclin le profana pour s’adresser au Trastamare :
    – Soyez roi ! clama-t-il. Soyez-le dès meshuy 323 . Faites cet honneur à tant de nobles chevaliers qui vous ont reconnu pour suzerain…
    « Il veut se racheter », songea Tristan. « Céans, le Juifs sont des gens comme les autres… Tiens, j’aperçois de nouveau Tello, le frère de notre Henri. Est-ce qu’ils s’aiment ? Se trahiront-ils un jour ? Iront-ils jusqu’à s’entre-occire ? »
    Soudain, contraint ou astucieux, Fernando de Tovar brandit sa crosse scintillante :
    –  Viva el Rey ! Viva el Rey !
    La foule hurla, gesticula. Il y avait en avant, près de l’entrée de la plaza, quatre femmes soigneusement parées, rosissantes, comme promises à quelque sacrifice païen. Nul doute qu’elles étaient là contre leur gré. Un commun désir de reculer les hantait, mais derrière, vingt hommes d’armes, guisarme au poing, les en empêchaient. Guesclin se pencha et fit un geste aimable à leur intention et, leur désignant le Trastamare.
    –  Dames, et vous aussi, gens de cette bonne ville, voilà votre nouveau roi !
    Une ovation monta, suffisamment forte pour s’éparpiller hors des murs. Une autre lui répondit, terrifiant écho dont le Breton et les prud’hommes se délectèrent tandis que les beaux yeux veloutés et profonds des dames exprimaient la terreur. Le satin de leurs joues pâlit au point de ressembler à cette neige qui, çà et là, subsistait sur les toits pentus des montagnes. Tristan vit le clin d’œil que, sous sa ventaille relevée, le hutin de Bretagne adressait à l’une des gentilfames et son recul répulsif tandis que, baissant la tête et les mains pieusement jointes, elle s’efforçait d’échapper à l’autorité d’un regard qui la dévêtait sans façon.
    Cependant, bien qu’étourdi par l’émoi de se sentir déjà roi, acclamé par une cité conquise sans coup férir, le sourire large et le menton haut – comme pour échapper au frottement

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