Les fontaines de sang
baiser la main du maître tandis que des huées s’élevaient sur les murs. On en vit quelques-uns monnayer leur concours pour la délivrance de la Castille. Jusqu’à ce que le samedi 28 mars, veille de Rameaux, la grande horde s’immobilisât devant Briviesca, close et sourde aux appels et objurgations des crieurs et des ricos hombres…
– Je m’en doutais, commenta le Trastamare. Un nom est tombé des murailles : Men Rodriguez de Senabria… Il fut naguère mon ami ; il est devenu celui de Pèdre.
Guesclin se frotta les mains :
– Il se repentira de nous avoir retardés.
Puis, tourné vers don Tello :
– Est-il bien vrai que cette cité contient des Juifs ?
– Des centaines.
– Eh bien, messires, j’emporterai la ville… Et vous verrez comment un chrétien fait la loi !
Briviesca se sentait au chaud et peut-être imprenable derrière ses hautes parois dentelées de merlons pointus. À l’entour, des montagnes coiffées de leur dernière hermine semblaient veiller sur elle. Tristan sentit un mésaise le pénétrer quand il vit arriver à pied, au-devant de Guesclin et des Espagnols, Calveley, le Bègue de Villaines, Jean de Bourbon, Audrehem, maints autre chevaliers de France et d’Angleterre et des routiers Bagerant, Briquet, Batillier, Espiote, Aimemo d’Ortige.
– Il y a un double mur, dit Dénia. Je suis déjà venu en cette cité.
– Double ou triple, dit Audrehem, nous vaincrons à la façon des Anglais à Magallon. J’y étais… La cité fut vélocement vaincue… Holà ! Henri… Où courez- vous ainsi ?
Le nouveau roi était resté en selle. Il venait de piquer des deux. Tristan et Ogier d’Argouges le virent galoper le long de la muraille en hurlant des menaces et des imprécations.
– Que dit-il ? demanda Tristan à Dénia.
– Il enjoint aux manants de se montrer de bons et loyaux sujets. Et il vient d’ajouter : « Vous êtes de folles gens si vous ne me recevez joyeusement comme suzerain. Je vous jure Dieu et le prends en garant que je vous donnerai franchise à votre commandement. » Or, ils répondent par quelques jets de pierres assortis de nous n’en ferons rien ». Il va donc nous falloir sévir.
– Avec joie, approuva le Bègue de Villaines.
– Nous allons leur montrer qui nous sommes, dit Guesclin. Quand ils verront nos goules, nous verrons leurs culs !
Dolent et dépité, le Trastamare revenait. Il n’admettait pas que Briviesca, sise à dix lieues de Burgos, lui soit hostile.
– Prenons quelque repos, dit-il, puis armons-nous.
– Point de repos ! tonna Guesclin. Calveley, rassemble à une frondée 332 de ces grosses chaingles 333 tes anglais, tes Gascons et ta piétaille porteuse d’échelles.
– Tu veux donner l’envaye 334 ?
– Chaque bataille devant une porte… Qu’on fasse préparer des feux : s’ils ne se rendent point, nous brûlerons les Juifs… Vous, comte de la Marche, en arrière : moi avec vos gens et mille routiers… Je serai devant vers cette montagne avec mes parents, mes cousins, Guillaume Huet et son frère Josse. Vous en serez, Argouges et Castelreng !… Enrique, du côté des marais, là où l’herbe verdit, avec vos hommes et deux mille routiers… Vous, Dénia, plus loin avec vos Aragonais…
Dénia, qui reculait, heurta Tristan de son coude.
– Calveley, dit-il avec une espèce d’envie, devra combattre la juiverie. Ce sont des hommes, des femmes et des enfants courageux. Je n’en ai rien dit à Guesclin : il aurait voulu les assaillir lui-même. Avec ce Breton, tous périraient.
– Et avec Calveley ? demanda Tristan.
– Je n’en sais rien.
– Il me paraît moult changé, murmura Ogier d’Argouges.
Dénia s’éloigna, le dos penché, comme s’il craignait d’y recevoir un carreau d’arbalète.
– Apprêtons-nous, mon gendre. Ne pensons qu’à défendre notre vie si quelques manants armés veulent nous la prendre. Cette guerre est pourrie et notre cause est laide.
Bientôt, des rumeurs circulèrent selon lesquelles la gent armée et ordonnée qui défendrait Briviesca maudissait Jésus-Christ et accusait le fils de Dieu d’avoir poussé les Compagnies jusqu’à leur cité. Aux rumeurs succédèrent les certitudes : les hommes, mais aussi les femmes étaient bien appareillés et les Juifs gardaient le côté dévolu à Calveley. Chacune de leurs maisons était fortifiée. Ils avaient une tour bien à eux, appelée situ goga, qu’ils
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