Les fontaines de sang
de son colletin de fer -, le Trastamare chaussa l’étrier sans que quiconque l’eût aidé, se mit soigneusement en selle et leva vers le ciel sa dextre étincelante :
– Muy bien ! Muy bien !
Et tourné vers la chevalerie de France :
– Nous n’avons plus, messires, de temps à perdre. Une cérémonie nous attend. Quelques notables vont nous y conduire… Je veux que toutes nos armées…
Le reste se perdit dans une autre rumeur : l’assistance refluait en commentant cette apparition d’hommes de fer qui, pour une fois, n’avaient commis aucune malfaisance. Le ciel à sa façon célébra un sacre anticipé : quelques duvets voletèrent, pareils à des pincées de cette hermine dont on fourrait les vêtements royaux.
*
Sur le seuil de la cathédrale 324 , où personne n’entra, des chevaux attendaient, tenus en bride par des palafreneros muets, endimanchés, une aumusse de cuir en tête. Fernando de Tovar et quelques notables les enfourchèrent. Débarrassé de sa crosse, mais coiffé de sa mitre blanche criblée d’or et de pierreries, le prélat prit les devants. Les ricos hombres, Calveley et ses Anglais, Guesclin et ses Français, Dénia et ses Aragonais suivirent. Hors des murs, quelques commandements suffirent pour ébran ler la grande armée. Elle suivit, elle aussi, sur un chemin caillouteux qui, apprit-on, reliait Alfaro à Logrono.
– Tout cela me semble avoir été pourpensé 325 , dit Ogier d’Argouges. J’aimerais savoir où ils nous emmènent.
– À la Huerta de la Varguilla, lança le comte di Dénia.
Il venait de surgir de l’arrière. Il rejoignit don Telle qui n’avait pas jugé utile de se vêtir en guerre, et dont la cotte gambaisée brillait, çà et là, des diamants enchâssés qu’on y avait cousus.
Dénia pointa l’index vers quelque chose de rouge.
– Tenez, on nous attend près de l’alcor 326 , là-bas. Ce grand pavillon de toile a été monté quelques jours après le départ de Pèdre.
On atteignit la Varguilla 327 dont les quelques habitants s’étaient enfermés dans leurs logis de terre et de bois. Mandement fut crié à toute l’armée de se tenir quiète. Quiconque transgresserait la volonté du prince serai immédiatement occis. Derechef, seuls les chevaliers furent invités à entrer sous la tente immense où les plateaux des tables dressées en son milieu ployaient sous une nourriture abondante, gardée depuis deux jours, dit l’évêque, par une décurie de picquenaires.
Sitôt engoulées quelques friandises, sitôt lampés quelques pichets de vin, la ferveur des partisans de don Henri, la certitude de vaincre des Aragonais, Français Anglais, Bretons et autres, transmutèrent la rumeur de satisfaction en un chalivali dont la frénésie plut tellement à Villaines qu’il hurla d’un trait : « Qu’il soit roi ! » tandis que Dénia s’égosillait :
– À Burgos ! À Burgos !
Bien qu’on sût que don Pèdre avait fait renforcer les défenses de cette ville, on se promit de l’envahir d’un s eul élan. Juché sur ce qui semblait être une caisse, don Henri rétablit d’un geste le silence et hurla son intention d’occire son frère : il savait trop, dit-il, qu’il ne pouvait pas avoir pour lui aucune sûreté à traiter avec un prince aussi cruel, aussi artificieux, et dont il ne pouvait attendre qu’une feinte apparence de grâce sous un ressentiment aussi féroce qu’injustifié.
– Soyez roi ! s’écria Guesclin. À bas tous les scrupules… Et croyez-moi, si l’occasion se présente, je vous livrerai ce Pedro sans cœur et sans foi ! Soyez roi !… Vous devez accorder cet honneur à tant de nobles chevaliers qui vous ont reconnu pour chef dans cette chevauchée dont nous ne sommes pas au terme… D’ailleurs notre ennemi refuse le combat. Par là, il reconnaît que le trône de Castille est vacant.
Et gonflant soudain sa poitrine, en dépit de la gêne due au plastron de son armure :
– Vive le roi Henri le victorieux ! Vive le roi des deux Castilles, de Séville et de Léon !… À Burgos ! À Burgos !
La toile pourtant épaisse ne put assourdir cette clameur. Dehors, les routiers qui l’avaient entendue se mirent à brailler comme s’ils partaient à l’assaut d’une cité dont ils méprisaient les défenses. Les curieux groupés sur le seuil de la tente durent s’écarter pour laisser un Tello congestionné dont l’haleine rude, envinée, fit reculer Tristan qui
Weitere Kostenlose Bücher