Les fontaines de sang
hésitait à l’abaisser pour user d’un coup imparable. Comment profiter de cet atermoiement ?
Atteindre l’écu où les fleurs de lis et la cotice, à force de coups reçus dans des combats antérieurs, n’étaient plus qu’un semis de griffures et de pustules.
Vif, précis, l’estoc de la Floberge heurta le centre de la défense taillée en forme de cœur, infligeant au Navarrais un recul, un sursaut lors duquel le bras dextre leva la hache. Tristan poussa sa lame dans l’épaule dégagée, crevant des mailles et pénétrant la chair.
L’arme au fer en forme de demi-lune tomba. Le Navarrais recula en silence, sans que son compère cherchât à le protéger d’une nouvelle estocade. Le bouclier chut dans un tintement mou et l’homme, tenant son épaule dans sa senestre ensanglantée, recula encore, toupina et se mit à courir vers l’écurie.
Où était Herbault ? Contre qui faisait-il ses armes ? Le Navarrais que Tristan se devait d’occire manœuvrait son épée avec vigueur, aisance et promptitude. C’était un garçon aux épaules massives, aux mains nues si épaisses qu’elles débordaient de la prise de son arme, un passot aux quillons terminés en queue de paon 83 forgé peut-être en Espagne. Attaquer ? Non. Feindre de se défendre. Laisser le malandrin éparpiller ses forces. Il frap pait parfois les yeux mi-clos. Le soleil… Il fallait qu’il fût toujours face au soleil !
Un éclair décilla les yeux du Navarrais : la lueur d’une épée toute proche. Un cri de rage capta son intérêt. Un corps tomba. Le vit-il ? Tristan ne voulut rien savoir de cette chute. Un coup d’estoc suivi d’un taillant. Il perdait son souffle. L’autre également. Il eût dû, depuis longtemps, avoir meurtri cet adversaire. Son bassinet, qu’il n’avait pas pris soin de lier au colletin de l’armure, branlait contre ses oreilles et pesait. Les vols d’éclairs de la bataille commençaient à l’impatienter. Allait-il devenir foudre et dominer enfin ce malandrin ? Rien ne pouvait lui arriver si ses gestes avaient la signifiance d’un vent d’orage. Rien… Un cri encore. Qui, cette fois ? !
« Toutes les voix des navrés, des mourants se ressemblent. » Et voilà qu’un autre Navarrais venait assister son compère !
– On l’aura, Guyot, on l’aura !
– Tu l’as dit, Braimon.
Deux épées contre une. Reculer. Prendre la mesure de ces deux-là. Leurs regards aussi vulnérants que des coups. Se soucier surtout de leurs armes.
– Cadedis ! Cadedis ! hurla un homme près de l’écurie.
En fait de Navarrais, il était Gascon.
– Sandis ! Sandis ! hurla un autre.
« Qu’est-ce qu’il veut dire 84 ? »
Appelait-il un compère à la rescousse ? Que devenaient ceux de Gratot ? Mieux valait n’en rien savoir. Rejeter cette épée au vol puissant. Repousser cette autre.
– Courage !
Tiercelet.
« Ne te plains ni des coups que tu as provoqués ni des frayeurs que ces démons t’infligent ! »
Un rugissement désespéré. La voix de Tiercelet, ensuite :
– Va au ciel… si tu le mérites… À qui le tour ?
Tristan étouffait dans ses fers. Ses mouvements s ’alentissaient. Bien que son bassinet fût grand ouvert, le souffle, parfois, lui manquait. Il triompherait. Comme ses entrailles étaient lourdes ! Frapper, frapper encore en évitant d’être atteint par une lame ou par l’autre. Ses poumons devenaient brûlants. Son bras dextre se déliait moins aisément que le senestre et ses mains moites semblaient fondre sur le cuir de ses gantelets rivés à la prise de la Floberge… Bon sang ! Qu’avait-il à s’inquiéter ? Il était, il restait le meilleur. Son énergie… Ah ! Ces épées qui, ensemble, avaient frôlé l’une son épaule, l’autre sa tête…
– Veux-tu mon aide, Perceval ?
Tiercelet.
Répondre oui, c’était se déprécier. Allonger un coup à Guyot. Touché ! Mais c’était une atteinte sans gravité, une encoche dérisoire sur la spallière rivée aux mailles… Ah ! Non, tout de même : l’épaule dextre saignait. « J’ai soif. » Eux aussi, certainement. Ils venaient de reculer. Ils s’étaient concertés pour agir ensemble.
« Comment ? » Attendre… Frémir de rage et d’incertitude. Affirmer par la mort de l’un ou de l’autre sa vigueur et son habileté.
– On va l’avoir, Guyot !
– Laisse-le-moi !
Deux épées, deux haines. Une retraite de côté tant les coups se
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