Les fontaines de sang
et magnifiquement serein :
– Herbault, tu es Normand. Je le suis comme toute mon ancêtrerie, donques ni pour Charles de France ni pour Charles de Navarre. Leurs tençons 78 ne me concernent pas. Est-ce ton Charles qui eut l’idée de me ravir ma fille pour m’enjoindre, ainsi, d’obéir à Jean de Grailly… de même que mon beau-frère ?
– Un des nôtres, qui a séjourné dans vos murs, en a soufflé l’idée au captal de Buch… Vous êtes renommé, messire Ogier… Ne le savez-vous point ?
Louange involontaire. L’épée de biais devant son plastron de fer, prête à trancher, Argouges se contenta d’un haussement d’épaules.
– Je crois savoir qui est cet homme, dit Tristan. C’est Richard Goz.
– Oui.
– Il est mort à Cocherel avec ses deux compains.
Cette précision fournie, Tristan ajouta :
– Nous perdons notre temps.
– Tu me parais, Herbault, indigne d’être Normand.
Tiercelet, l’homme du Beauvaisis, s’immisçait soudain dans cet échange qui, jusque-là, n’avait pas manqué d’une singulière courtoisie. Toutefois, estimant qu’il en avait assez dit, Herbault de Breteuil se renfrognait. Tristan vit sa dextre pelue glisser près de son écuelle vers le poignard avec lequel il mangeait. L’épée du baron de Gratot s’abattit sur la table, tellement proche de la main du Navarrais que ses poils en frémirent. Le heurt avait été si violent que des chopes et des chopines sursautèrent et que l’une d’elles, la moins pansue, se coucha et répandit son contenu sur le plateau, renversant dans sa chute un eucharistial d’argent robé dans quelque église, qu’un lieutenant d’Herbault avait pris pour hanap.
– Messire Argouges, j’ai vingt ans de moins que vous.
– J’ai donc sur toi, fredain (464) vingt ans d’expérience.
– Vous allez regretter d’être venus à Ganne. Sans se soucier de Tiercelet et de Matthieu, Tristan observait les deux adversaires, puis les sept Navarrais, debout, figés par l’ébahissement, mais dont certains se disaient sans cloute que l’avantage restait de leur côté. Il les dissuada d’entretenir cette espérance.
– Vos compères sont morts. Il ne reste que vous. Sur les traits pourtant dissemblables des convives, une même haine apparut dont il évalua paisiblement la puissance. Maintenant, la soif du sang asséchait sa gorge, son cœur, ses poumons aussi puissamment, sans doute, que chez Matthieu. Seul parmi ses compères, Herbault semblait sûr de vaincre. Il considérait d’un œil malicieux cet Argouges immobile et résolu dont il avait détenu la fille.
– Vous ne sortirez pas vivants de ce châtelet. Je reprendrai votre pucelle et, cette fois, je n’attendrai pas pour en profiter !
– Oh ! Oh ! fit Tiercelet, cela s’appelle de l’audace.
– De la présomption, enchérit Matthieu, l’eau du meurtre à la bouche.
– Nous ne pouvons céans nous fournir des coups. Tristan vit avec plaisir sa remarque approuvée par Herbault et quelques autres. Pour s’occire à l’aise, mieux valait avoir de l’espace.
– Descendons dans la cour, proposa Tiercelet.
– Soit, dit Herbault. Allez-y, nous vous rejoignons. Un homme entra, pâle sous sa barbe blonde. Et indécis. Il lui manquait la main dextre. Des linges propres mais sanglants enveloppaient son moignon.
« Le réchappé de Cocherel », se dit Tristan.
– Que se passe-t-il ? demanda l’Amputé d’une voix usée.
Rien ne le protégeait : il avait déposé ses mailles et son épée et n’était vêtu que d’un pourpoint noir, de hauts-de-chausses et chausses délavés. Ses alpargates 79 trouées, poudreuses, révélaient à elles seules une misère dont Tristan eut pitié.
– J’étais aux latrines. Que ce…
– Pars, enjoignit Argouges au blessé. Cours et quitte ces murs… Hâte-toi. Je n’ai jamais, par Notre-Dame, outrepercé un eshanché 80 .
L’homme s’en alla. Son pas décrut dans l’escalier. Une fois dans la cour, aucun doute : il courait.
– Il va prévenir l’huissier, dit Tiercelet.
– Je m’en charge, dit Matthieu.
Et il disparut.
– On descend ? proposa Tristan.
– Le temps de saisir nos armes, dit Herbault, et vous allez voir…
Il ne pouvait qu’accepter l’affrontement. Il se sentait capable d’y faire merveille. Tiercelet sortit à reculons, imité par Argouges. Tristan s’éloigna le dernier.
Sous la voûte, Thierry et Paindorge attendaient devant Luciane,
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