Les fontaines de sang
Guillemette et quatre femmes dont une, de ses mains, soutenait son ventre. Tristan sourit à celles de Gratot sans toutefois s’en approcher : des pas et des épées bruissaient dans l’escalier.
– Hélas ! M’amie, dit-il à Luciane, le temps me manque… Les voilà… Thierry et Paindorge, avec nous… Dames, ne craignez rien… Quand Matthieu aura vaincu le vougier du portail, fuyez. Contournez de loin ce châtelet… Attendez-nous à recueillette 81 quelque part…
Tiercelet compléta cette recommandation :
– Si vous apercevez des hommes dans le chemin, faites surtout qu’ils ne vous voient pas !
Il n’y avait plus rien à dire : les Navarrais apparais saient. Herbault, moins sûr de lui en bas qu’en haut, se tournait vers le guisarmier de garde à l’entrée en espérant sa présence, mais Matthieu, une fois de plus, avait fait merveille : l’homme gisait à terre, son arme au manche rompu dans le corps.
– Partez, recommanda Ogier d’Argouges à sa fille et à ses compagnes. Hâtez-vous de franchir ces murs… et priez pour nous tous une fois au-dehors.
*
– Tenons nos épées par les hans (465) l’estoc en terre. Vous, les haches sur l’épaule, enjoignit Herbault à ses hommes disposés en haie devant l’écurie, face à leurs adversaires.
« Ils sont huit et nous six. Ce serait trop beau si nous survivions tous ! Thierry souffre encore de sa main navrée… »
Les tempes lourdes et comme serrées dans son bassinet, Tristan prit son temps pour tirer son épée du fourreau. Il s’était placé entre Champartel et Ogier d’Argouges, lequel côtoyait Paindorge. Tiercelet s’était mis à l’écart, auprès de Matthieu qui semblait comme ramassé sur lui-même, prêt à se précipiter, le chef en avant, dans la mêlée.
Coiffés de la barbute ou de la cervelière, les Navarrais riaient, déterminés à vaincre. La clarté matinale, d’autant plus drue qu’aucun feuillage n’amoindrissait son ardeur, soulignait l’ossature épaisse de ces hommes, et les lueurs des mailles révélaient les contours musculeux de leurs bras et de leurs jambes – celles-ci gainées de cuir jusqu’aux mollets. Tristan devina ces rustauds souples et inlassables. Trois d’entre eux avaient choisi la hache ; ils poignaient un écu aux armes de la Navarre, peu lisibles par suite des nombreux coups reçus. Les autres combattraient sans plus de protection que leur haubergeon aux anneaux çà et là démaillés.
« Merdaille !… Ils me font peur. »
Un haro retentit, poussé par Herbault. Les Navarrais coururent. Quelle qu’eût été la promptitude de leur manœuvre d’encerclement, elle échoua : Paindorge et Tiercelet s’étaient portés au-devant de deux assaillants, et le brèche-dent, d’un coup de lame au-dessus du bouclier d’un homme à la hache, lui avait élargi la bouche jusqu’aux oreilles. Trop occupé à protéger sa vie, Tristan cessa de les entrevoir.
« Deux contre moi, et pas des enfançons !… Hache, épée. Recule ! Recule ! »
L’air était empli des grognements de ces deux garçons de vingt ans acharnés à sa perte. L’oppression de la mort leur semblait étrangère.
– Herbault ! cria l’un d’eux. Herbault que Dieu t’aide !
– Vive Grailly ! dit l’autre.
– Honneur à messire Charles !
Ce n’était pas de l’admiration qu’ils vouaient au captal de Buch et au roi de Navarre, mais une ferveur d’une rudesse à la mesure de leur tigrerie. Pâles, décidés, habiles, ils alternaient leurs coups, et tandis que l’un assenait sa hache, l’autre observait à l’entour ses compères.
Tristan demeurait sur la défensive. Quand une trêve apparaissait dans l’un ou l’autre des mouvements déployés pour l’abattre, il feignait de frapper mais retenait sa force : prendre son temps – la hache pesait et pèserait bientôt davantage – c’était vaincre.
L’espace d’une reculade. Un assaut par l’épée. Vain coup de taille. Tiercelet, tout près, qui eschevait 82 un coup. Puis Matthieu et Paindorge entourés de trois hommes, dominés semblait-il par des haches – une cognée, une danoise – contre lesquelles leurs épées ne les protégeaient guère.
« Bon sang ! C’est Cocherel qui recommence dans l’autre sens. » Et comme il évoquait les terrifiantes haches maniées par les Bretons, Tristan vit celle qu’il avait repoussée, attaquée, évitée jusque-là, se lever. Le Navarrais qui la poignait
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