Les foulards rouges
fois encore, brisa l’avance du maréchal en débouchant d’une rue
perpendiculaire avec sa maigre réserve de gentilshommes.
Monsieur de Turenne fut contraint de reculer, mais
pour charger de nouveau et reprendre la barricade gagnée puis perdue. À peine
en les lieux, le maréchal dut subir une violente attaque du prince et perdit
pour la seconde fois la barricade.
Ses soldats acclamaient le prince. On le
voyait en chaque endroit où les Condéens faiblissaient et menaçaient de perdre
pied.
La sueur lui coulant de partout, on lui ôta sa
cuirasse et, une fois nu, il se roula sur l’herbe, s’y vautra, avant de se
rhabiller pour courir là où le danger l’appelait.
Pour le prince, chaque mètre de terrain
comptait. Il savait que la force morale épaule l’ardeur des combattants et, en
dépit de leur petit nombre, les Condéens avaient partout depuis des heures tenu
en échec l’armée royale.
Mais en face, monsieur de Turenne
réfléchissait lui aussi, relevant les escadrons étrillés pour les remplacer par
des troupes fraîches.
Ayant échoué rue de Charonne, il choisit alors
de concentrer son effort sur la rue de Charenton, où commandait le duc de
Nemours qui plia sous le choc.
Apprenant la nouvelle, Beaufort, arrivé de
Paris avec une poignée de miliciens, La Rochefoucauld et tous les gentilshommes
disponibles se lancèrent à la reconquête, aidés par Nemours qui avait regroupé
ses troupes défaites.
Les trois ducs se mirent à la tête de leurs
troupes pour cette contre-attaque délicate.
Les Foulards Rouges
se déplaçaient eux aussi, se portant partout où la Fronde se montrait menaçante
afin de freiner son avance, mais également là où elle perdait pied, espérant
créer une de ces situations de rupture par où s’engouffre la victoire.
Le comte de Nissac, dès qu’il organisa les
Foulards Rouges, avait souhaité que chacun, s’il excellait en une chose, fût
adroit en les autres : qu’il faille tenir une épée, un poignard, un
pistolet ou un mousquet… mais, sur ce dernier point, nul ne pouvait entrer en
concurrence avec le baron de Florenty.
Celui-ci avait installé son mousquet sur un
bord de fenêtre et déjà abattu deux gentilshommes proches de Nemours lorsqu’il
reconnut, assez loin, Beaufort.
Chez les Foulards Rouges, Beaufort était le
plus détesté des grands Frondeurs et sans doute serait-il mort sur l’instant si
La Rochefoucauld, se déplaçant, n’avait masqué le « Roi des Halles ».
La balle, emportant chairs et sang, atteignit
La Rochefoucauld aux yeux, l’obligeant à errer sans rien y voir, pathétique
aveugle tournant en cercle.
Florenty, d’abord déçu, secoua la tête puis, caressant
son mousquet :
— C’est tout de même un duc !
Déjà, arrivé sur les lieux, le prince de Condé
jugeant la situation d’un regard, ordonna le repli vers la petite place devant
la Porte Saint-Antoine d’où partaient les trois rues.
Puis, on entendit des cris.
L’artillerie royale, enfin arrivée, prenait
les trois rues en enfilade. Presque aussitôt, les Condéens abandonnèrent
retranchements et barricades pour se grouper sur la petite place, sous les murs
de Paris, où les boulets du maréchal de La Ferté commençaient à les tailler en
pièces.
Alors que tout semblait fini, et l’horrible
guerre civile à quelques minutes de sa fin, la Porte Saint-Antoine s’ouvrit, l’armée
condéenne s’y engouffrant en le plus grand désordre pour entrer dans Paris.
Les visages passés à
la suie et méconnaissables, les Foulards Rouges portaient à présent les
écharpes rouges des troupes espagnoles, menées en apparence par le marquis de
Dautricourt et une jolie femme – Mathilde – qui arboraient l’écharpe Isabelle.
Puis ils prirent place dans l’interminable
file d’attente qui patientait pour entrer en la ville.
Déjà, gourmande, l’armée royale s’avançait
pour massacrer les arrières de l’armée en déroute massée devant la porte
lorsque, à la stupéfaction du roi, de Mazarin, de monsieur de Turenne et des
Frondeurs eux-mêmes, les canons de la Bastille fauchèrent les premiers rangs
des soldats loyalistes, et continuèrent de tonner.
Se faisant voler sa victoire, l’armée royale, la
mort dans l’âme, recula.
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Les Foulards Rouges, ayant ôté ce signe
distinctif, attendaient en la cohue où se trouvaient mêlés Frondeurs de haut
rang, généraux, anciens soldats de l’armée du Nord, Lorrains, Espagnols
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