Les foulards rouges
en
compagnies constituées, mercenaires, artillerie, cavalerie, chariots débordant
des bagages de l’armée condéenne.
À Paris où, avant même l’ouverture de la Porte
Saint-Antoine, on avait fait entrer les blessés et les morts par charité, la
population regardait en silence ce triste spectacle.
D’autres s’interrogeaient : que s’était-il
passé ? Rien qui fût trop simple, mais point compliqué non plus.
Gaston d’Orléans qu’on appelait « Monsieur »,
fils d’Henri IV, frère de Louis XIII et oncle de Louis XIV, un
des grands de la Fronde, avait senti le vent tourner et, sur les conseils du
cardinal de Retz, se prétendait malade, enfermé en son palais.
Mais sa fille, « la Grande Mademoiselle »,
celle-là même qui avait fait tomber la ville d’Orléans en l’escarcelle de la
Fronde, fit le siège de son père trop faible et lui arracha un ordre signé lui
donnant autorité sur les échevins, la Milice et le maréchal de L’Hospital, gouverneur
de Paris qu’on disait favorable au roi.
Le maréchal tenta bien de discuter pour
différer mais en pure perte, et la « Grande Mademoiselle » sauta à
cheval pour se précipiter Porte Saint-Antoine.
Ce qu’elle vit en chemin l’émut et la
raffermit en ses dispositions.
Partout, on déposait les blessés de l’armée de
la Fronde : à même les rues, sur des échelles couchées, des civières, de
simples planches. Et parmi eux, le duc de Nemours ou le général-baron de
Clinchamps.
En une autre rue, elle vit les morts. De
simples soldats, des officiers mais aussi des nobles : les comtes de la
Martinière, Castres, La Mothe-Guyonnet, les marquis de La Rochegifart et de
Flamminrins, et bien d’autres encore…
Elle croisa le duc de La Rochefoucauld, le
visage rouge de sang et dont il semblait que les yeux faisaient saillie hors
des orbites. À cheval, il paraissait souffrir atrocement. Gourville lui tenait
une main et le prince de Marsillac l’autre.
Le capitaine de la Milice qui gardait la Porte
Saint-Antoine obéit à l’ordre écrit mais Louvières, gouverneur de la Bastille
et pourtant Frondeur notoire, refusa de soutenir le prince de Condé du feu de
ses canons afin d’écraser les troupes royales qui, de toute évidence, allaient
s’engouffrer en la ville à la suite des Condéens.
Il exigeait un ordre écrit de Gaston d’Orléans,
et l’obtint très rapidement.
La « Grande Mademoiselle » rencontra
Condé venu la remercier et, bien qu’elle fût déjà amoureuse de Louis XIV, elle
tomba également amoureuse du prince qui, les cheveux emmêlés, le visage noir de
poussière, la cuirasse défoncée par les coups reçus lui fit sans doute songer
au dieu Mars.
C’est peu après qu’elle monta sur les tours de
la Bastille dont on tenait les canons habituellement pointés sur Paris. Elle
les fit aussitôt tourner et, voyant la cavalerie de monsieur de Turenne qui s’apprêtait
à enfoncer l’arrière-garde de l’armée condéenne, elle ordonna le feu, ce qui
provoqua un massacre en l’avant-garde de la cavalerie royale.
Turenne donna aussitôt l’ordre du retrait.
Pour autant, la lunette d’approche à la main, la
« Grande Mademoiselle » n’en avait point fini, distinguant sur la
colline de Charonne riches et nombreux carrosses, là où le roi, Mazarin et
toute la Cour suivaient la bataille en profitant de cette position dominante.
Sans hésiter, elle fit tirer sur eux et le roi,
fou de rage d’échouer si près du but, se retira.
Pendant ce temps, le prince de Condé
commandait en personne le passage de ses cinq mille hommes par la porte étroite,
hommes auxquels s’ajoutaient chevaux, chariots et prisonniers. C’était là chose
délicate, il y fallait de la méthode et l’opération dura plus de cinq heures, ne
s’achevant qu’à la nuit.
Une fois de plus, les Parisiens avaient opéré
revirement, tant à la vue de ces hauts seigneurs tués ou blessés qu’en raison
de l’incontestable courage physique du prince et de l’excellente tenue de l’armée
de la Fronde pourtant surclassée en nombre et en matériel.
Paris appartenait à Condé, de cœur. Et de fait.
Pourtant, il se trouva quelques Parisiens qui
ne supportèrent point ce spectacle et préférèrent rentrer chez eux pour y
cacher leur chagrin et leur honte.
Voir passer en les rues de Paris les troupes
espagnoles reconnaissables à leurs casques et aux larges écharpes rouges qui
leur barraient la poitrine, voir les
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