Les foulards rouges
à tout
jamais ses adversaires. À dix, ils pourraient se dégager en quelques heures
mais à une trentaine, en moins d’une heure, les charges de poudre à canon ayant
été calculées à cet effet.
Les Foulards Rouges s’étant retrouvés par un
égout de dérivation reprirent leur marche sous la conduite de Florenty qui, la
torche à la main, se guidait sur des signes gravés ou peints sur les parois des
galeries.
Parfois, il s’agissait d’une simple flèche. En
d’autres lieux, c’était rose, hippocampe ou salamandre au motif travaillé par le
ciseau habile d’un tailleur de pierre.
Enfin, on arriva dans une crypte puis devant
un escalier bien entretenu qu’ils gravirent, le comte tenant toujours madame de
Santheuil inanimée en ses bras.
Florenty, aidé de Fervac, souleva une lourde
dalle qu’ils déplacèrent pour découvrir des bottes, puis, levant les yeux, un
homme qui se tenait debout, bras croisés.
— J’ai un instant pensé que vous vous
étiez égarés !
Le duc de Salluste de Castelvalognes, général
des jésuites, attendait les fugitifs chez lui, en la cathédrale de Notre-Dame.
Il ajouta :
— Soyez les bienvenus !
77
Le duc de Beaufort en eut le souffle coupé et
bien malgré lui il ressentit pour son ennemi intime une admiration si vive, si
fervente, qu’il eût aimé le serrer en ses bras… quitte à l’occire peu ensuite !
Pour réussir pareil coup, il fallait manière d’être
de la fine fleur de la chevalerie des temps jadis, courage confinant à la folie,
totale maîtrise de l’épée et du cheval, esprit de très grande audace à imaginer
pareille chose et sens de l’honneur sans faille qui fait qu’on n’abandonne
point le cadavre d’un ami aux mains de l’adversaire, fût-il cent fois plus
nombreux.
Le peuple réuni place Dauphine, les soldats de
la Fronde, un parti d’Espagnols et un groupe de Miliciens, nul ne bougea, nul
ne songea à entamer la poursuite et tous se demandèrent s’ils n’avaient point
rêvé.
Beaufort le tout premier !
Ils n’étaient que quatre, arrivés sur la place
au grand galop, les foulards rouges couvrant le bas de leurs visages.
Celui qui se tenait en tête était monté sur ce
grand cheval noir qu’on n’avait point réussi à capturer sur les quais, et pas
davantage en l’Hôtel de Carnavalet où attendaient des Miliciens car la bête, remarquablement
intelligente, devait connaître autre lieu de rendez-vous où elle retrouva son
maître.
Le maître !… Maître en l’épée !… Et
quel cavalier !…
Quelle allure, aussi !… Le feutre marine
au bord rabattu sur les yeux avec, au vent, ses longues et magnifiques plumes
rouges et blanches… La grande cape noire et puis cette arrivée au galop sur la
place Dauphine, le cavalier littéralement debout sur ses étriers, l’épée tel un
éclair coupant la corde retenant un des pendus et juste derrière, à la seconde
près, un second cavalier – Frontignac – arrivant juste à temps pour recueillir
par le travers de son cheval le corps identifié comme celui d’un galérien
libéré par Mazarin qui le fit baron, et qu’on nommait Bois-Brûlé.
À peine reprenait-on ses esprits qu’un second
cavalier, à l’extraordinaire coup d’épée, en lequel certains reconnurent Fervac,
officier aux Gardes Françaises, se dressait pareillement sur ses étriers, coupait
la corde retenant par les pieds Henri de Plessis-Mesnil, marquis de Dautricourt,
tandis que le dernier cavalier – Florenty –, à la seconde près, recevait le
corps et s’enfuyait sans avoir ralenti son galop un seul instant.
La place Dauphine, sans les deux Foulards
Rouges pendus par les pieds, sembla brusquement vide aux cœurs les plus
endurcis.
Pour tous les autres, elle retrouva son
humanité.
Le comte de Nissac
se sentait épuisé.
Il n’avait point dormi de la nuit, veillant
Mathilde après que le duc de Salluste de Castelvalognes, qui avait appris la
chirurgie en Italie, eut retiré avec un art des plus remarquables la balle
logée en l’épaule de la jeune femme.
Au matin, il avait fallu monter avec ses trois
compagnons cette affaire délicate, place Dauphine, où Dautricourt et Bois-Brûlé
se trouvaient ignominieusement pendus par les pieds à la branche d’un arbre.
Et à présent, il n’était point auprès de sa
tendre Mathilde que le batelier espion de Mazarin emmenait à Saint-Denis où s’était
installée la Cour.
Le comte se tenait très droit en le jardin
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