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Les foulards rouges

Les foulards rouges

Titel: Les foulards rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Frédéric H. Fajardie
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de
la petite église où se voyaient les tombes de Nicolas Louvet, Melchior Le Clair
de Lafitte et Joseph Fiegel, le père de Mathilde.
    Trois nouvelles tombes se trouvaient peu à peu
comblées par deux jeunes jésuites. D’autres pères avaient travaillé pendant la
nuit afin de graver des noms sur les croix en pierre blanche et ces six croix, toutes
semblables en leur simplicité, donnaient grande majesté et ordonnancement
militaire à l’endroit.
    Sur les croix surmontant les tombes fraîches
on pouvait lire tour à tour « Baron César de Bois-Brûlé », « Henri
de Plessis-Mesnil, marquis de Dautricourt » et « baronne Éléonor de
Montjouvent ».
    Un colonel des dragons fit déposer par de
jeunes officiers six gros bouquets de lys, au nom de Sa Majesté le roi et de
Son Éminence le Premier ministre, puis il se retira avec ses hommes.
    Les barons de Frontignac et de Fervac, nés la
même année, nouèrent autour des six tombes six longues écharpes de soie rouge, puis
se rangèrent aux côtés de leur chef.
    Les quatre Foulards Rouges et le baron Jérôme
de Galand tirèrent l’épée et la tinrent un instant à quarante-cinq degrés.
    Ainsi s’achevait la cérémonie.
    Fervac, Florenty et Frontignac s’approchèrent
des chevaux, laissant Nissac et Galand en tête à tête.
    Le policier, une infinie tristesse dans le
regard, posa une main légère sur l’avant-bras du comte :
    — Merci !… Merci de l’avoir
accueillie ici, parmi tous vos braves.
    Surmontant son émotion, le comte de Nissac
tenta de se donner un ton d’autorité qui ne fut point convaincant :
    — Comme nos amis, madame de Montjouvent
est enterrée avec foulard rouge autour du cou car elle a gagné ce droit en
chargeant à cheval en l’affaire d’Auteuil.
    Il hésita et ajouta, plus bas :
    — Et parce que vous l’aimiez, ami !
    Le général de police leva sur le comte des
yeux soudain rougis, car sans doute retenait-il ses larmes :
    — L’aimer !… Vingt années de totale
solitude, rencontrer au hasard de cette affaire une femme qui me comprit et
pénétra mes secrets d’un regard, croire que ma vie allait changer et me voir
ainsi tout retirer… Si leur Dieu existe, c’est une brute.
    D’une voix douce, le comte répondit :
    — Il n’est point que Dieu. Les idées de
liberté qui sont les nôtres viennent des hommes. Des hommes tels que vous, Jérôme.
    — Non. Mon temps s’achève. J’en finirai
avec ces chiens enragés de la Fronde, mais la vie a perdu tout intérêt.
    — Vous ne pouvez pas parler ainsi !…
Pas vous !…
    — Je le peux. Ce n’est que ma vie, après
tout, et quelle valeur a-t-elle puisque la seule qui s’en soucia autrement qu’en
pure amitié n’est plus là ?… Ce n’est pas à vous, cher comte, que je dois
dire pareille chose vous ayant observé avec madame de Santheuil.
    Le comte baissa la tête, Jérôme de Galand ne
se contenta point de cet acquiescement muet :
    — Pourriez-vous lui survivre ?
    La réponse tarda puis, regardant le général de
police droit dans les yeux :
    — Non !… Non, je ne le pourrais
point. Les chagrins d’amour ne tiennent pas compte de l’âge, Jérôme. J’ai vu
pleurer un soldat de seize ans, et un général de soixante-dix ans, chacun
malheureux à en mourir parce que leur belle les avait quittés, la première
étant bergère et l’autre comtesse…
    Jérôme de Galand ferma les yeux.
    — Parlez, ami, parlez !… Dites ces
paroles de vérité, les seules que je veuille entendre.
    — Mon cœur est plein d’amertume de l’injustice
qui vous est faite. J’ai quarante et un ans, vous en avez cinquante-trois. À
nos âges, on sait le poids des amours sans réussite, des années enfuies, de la
jeunesse qui ne reviendra plus. On sait la valeur sans pareille d’une étreinte,
d’une caresse, d’un baiser… Nous savons tant de choses, mais on nous regarde
moins. Sauf…
    Galand l’interrompit avec véhémence :
    — Pourtant, elles nous ont vus. Tous les
deux !… Madame de Santheuil vous a vu !… Éléonor m’a vu !..
    Le comte regarda les six tombes, les croix
blanches aux écharpes de soie rouge et il nota avec surprise que c’était là les
couleurs des plumes de son chapeau. Mais il ne se laissa point distraire par
cette étrange découverte, voulant aller au bout de son explication :
    — Et pourquoi les baronnes de Montjouvent
et de Santheuil nous ont-elles remarqués ?
    Jérôme de Galand

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