Les foulards rouges
objectifs possibles.
Restait l’imprudence. L’un d’eux, reconnu par
un espion de la Fronde, avait été suivi et, plutôt que de les attaquer en l’hôtel
de Carnavalet où il eût fallu les assiéger, les Frondeurs, bien avisés, les
avaient surpris en pleine action, loin de leur base et du matériel qui s’y
trouvait.
Une forte odeur animale, à quoi se mêlaient
excréments et paille pisseuse, vint soudain aux narines des Foulards Rouges.
Le baron de Florenty lança :
— Nous y voilà !
Peu après, il alluma une torche qui devait
attendre sur place depuis quelque temps. Nissac, Frontignac et Fervac ouvrirent
des yeux ronds, tant le spectacle paraissait surprenant mais, déjà, Florenty
tendait une barre de fer à Fervac :
— Aide-moi à ôter le dessus du cénotaphe,
veux-tu ?
— Comment dis-tu cela ?
D’un geste agacé, Florenty désigna un long
monument de marbre qui semblait luxueux tombeau. Il précisa cependant :
— Le cénotaphe est un monument élevé à la
mémoire d’un mort mais qui ne contient aucun corps. Pressons-nous, les Condéens
arrivent déjà !
Sans davantage s’étonner d’autres choses plus
étranges encore qui se trouvaient en cet endroit, on bascula le couvercle du
cénotaphe qui contenait mousquets, pistolets, cordes, petits barils de poudre.
— Il faut savoir songer par avance aux
jours difficiles ! maugréa Florenty quand Frontignac le complimenta pour
sa prévoyance.
Chacun se servit mais le baron de Fervac, qui
n’en démordait pas, ronchonna :
— Tout de même, il y a choses bien surprenantes,
en ce lieu !
— Vous en verrez d’autres ! répondit
le baron de Florenty en s’engouffrant dans une ancienne galerie de mines.
Un parti d’une cinquantaine de Condéens
suivait les Foulards Rouges à peu de distance, commandés à la fois par un
colonel de la Milice et un capitaine des mousquetaires qui ne s’entendaient
point, et leurs troupes pas davantage.
Dans le silence, un sinistre bruit de chaînes
les étonna fort désagréablement.
Les deux chefs marchaient en tête lorsque, brusquement,
une vision d’apocalypse les glaça d’horreur jusqu’à la moelle, et avec eux, toute
l’avant-garde du parti Condéen.
Incapables de dire un mot, paralysés par la
terreur, ils contemplaient une scène qui les effraya si fort que le chef des
mousquetaires ne put retenir en son haut-de-chausses ce qui se fait
habituellement sur la chaise percée, ou lieu isolé des regards.
Sur un fond d’un rouge tirant sur l’écarlate, devant
lequel se trouvait le cénotaphe où avaient été posés deux bougeoirs de cristal
dont les flammes, en raison du fond, semblaient rouges, un bouc chargé de
chaînes les regardait fixement, les lueurs des torches se reflétant en ses yeux
d’un noir d’encre qui semblaient voir jusqu’au tréfonds de votre âme.
— Le diable à Paris !… hurla le
capitaine des mousquetaires en s’enfuyant.
Ses mousquetaires l’imitèrent, et ceux de l’autre
parti firent de même si bien que le colonel de la Milice, un homme dans la
cinquantaine qui s’était battu avec vaillance lors des engagements de la rue de
Charonne, demeura seul, en tête à tête avec « la créature » qu’on
appelait « le diable à Paris ».
Le colonel demanda d’une voix qu’il eut du mal
à assurer :
— Serais-tu le diable ?
Le bouc agita ses chaînes.
Le colonel, perplexe, remarqua :
— Bruit de chaînes ne veut dire ni oui, ni
non.
Le colonel décida d’en avoir le cœur net et, n’excluant
point d’être foudroyé sur l’instant et réduit en cendres, il lança une claque
sévère sur l’arrière-train du bouc qui s’écarta, visiblement incommodé par
semblable traitement.
N’étant point tombé en poussière, et
comprenant qu’il s’agissait là, malgré tout ce décorum, d’un bouc des plus
ordinaires, le colonel éclata d’un rire phénoménal que répercutèrent fort loin
et très longtemps les souterrains.
Mousquetaires et Miliciens revinrent un à un
et, lorsqu’il croisa le regard du capitaine des mousquetaires, le colonel des
Miliciens partit d’un nouveau rire.
Puis, chevauchant le bouc, il hoqueta et
murmura entre deux sanglots :
— Morbleu, je tiens sans selle sur « le
diable à Paris ! »
Les Miliciens rirent à leur tour, les
mousquetaires montrant visages maussades à l’exemple de leur capitaine.
Puis, le colonel rassembla ses Miliciens et
saisit l’extrémité de la
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