Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
ouvert ses registres.
    Un sifflement aigu perça le silence. C’était un signal. Il entendit nettement les pas d’hommes qui s’approchaient. Bientôt, il ne pourrait plus fuir.
    — Où vas-tu ? Reviens, ami. Ensemble, nous sommes plus forts et peut-être…
    Lapardula fit encore un pas. Guillaume n’avait plus le choix. Il se mit à courir en direction de l’esplanade. Ce fut alors qu’ils surgirent à l’extrémité du corridor : quatre hommes, quatre bagnards, crâne découvert, armés de bâtons et de chaînes. Ils lui coupaient la route. Derrière lui, il entendait des voix, des bruits de pas : d’autres comparses avaient dû rejoindre l’Italien par l’atelier. Il décida de faire face. Il saisit le premier objet qui lui tombait sous la main, une planche de bois à moitié pourrie, et il tenta de passer.
    Mais il avait affaire à forte partie. D’un coup de bâton, l’un des bagnards fit sauter sa planche et un autre, par un mouvement de chaîne à ras du sol, lui agrippa les jambes et le fit tomber. Il n’échappa que de justesse à la chaîne du troisième. Le quatrième parvint à le frapper à l’épaule droite. Il sembla à Guillaume que son bras était arraché. Mais il réussit à se relever.
    — Ce n’est pas celui-là ! cria une voix derrière lui. C’est l’autre !
    Guillaume se retourna. Lapardula se tenait au milieu de la cour, la face rouge, les yeux exorbités. Il n’était pas seul. Deux forçats lui emprisonnaient les bras et le troisième, Rembard, l’étranglait avec une chaîne. Le galérien serrait de toutes ses forces. L’Italien ne se débattait qu’à peine. Il fixait Guillaume, la bouche ouverte, avec dans le regard davantage de tristesse que de reproche. C’était donc Rembard qui avait manigancé tout cela. L’Orfèvre n’y était pour rien.
    — Je t’avais bien dit que je me vengerais, dit Rembard à Guillaume en accentuant sa pression.
    On entendit les vertèbres craquer. Le corps du bonnevoglie se cabra dans un dernier soubresaut puis sa tête roula sur le côté. Les galériens relâchèrent leur victime qui s’écroula sur le sol comme une marionnette dont on aurait coupé les fils.
    — Salaud ! cria Guillaume en brandissant son reste de planche.
    Mais sur l’instant il reçut derrière la nuque le fouet terrible d’un paquet de chaînes qui l’envoya à terre, à côté de Lapardula. Dans un semi-coma, il vit les silhouettes s’approcher. Par un dernier réflexe, avant que ne pleuvent les coups, il se recroquevilla pour tenter de se protéger le mieux possible.

    2.
    M. l’intendant général des galères lorsqu’il recevait la bonne société de Marseille n’était pas avare sur la dépense et aimait éblouir. Chaque sou dépensé pour son bon plaisir l’était aussi à la gloire de Sa Majesté et c’était pour cette raison, disait-il, que son hôtel s’appelait la « maison du roi ».
    Les musiciens jouaient une mélodie lente où, peu à peu, les violons prenaient le pas sur les cordes, les bousculaient et les mataient d’un fouet grave et précis dont chaque coup semblait laisser des traces. Les notes blessées se dispersaient le long des hauts plafonds de l’hôtel de l’intendant, fuyaient l’enfilade des salons où les crédences et les tapis se reflétaient dans les glaces des murs, se dispersaient enfin dans les jardins fleuris, débordant de plantes rares et d’arbres exotiques où des Turcs enrubannés marquaient les allées en brandissant, impassibles, des torches de cire blanche.
    Delphine, dans sa chambre, s’observa une dernière fois dans le grand miroir de sa coiffeuse. Cette femme, immobile et glacée, cette beauté éteinte avec des yeux trop clairs, des cheveux trop blonds, des traits trop réguliers, était-ce bien elle ? « Vous ne changez pas », lui disait souvent sa mère, mais c’était faux. Elle s’usait, elle s’abîmait. Elle était comme ces statues parfaites, ces Diane et ces Vénus de marbre, abandonnées dans la solitude des parcs. Leurs traits ne se modifiaient pas, bien sûr, mais le vent, le froid, les brouillards, cette mélancolie des saisons répétées, les altéraient un peu plus chaque jour, polissaient leurs contours, tachaient leur pierre et cendraient leurs éclats. Et si elle était dehors, comme elles, exposée aux intempéries, aux tempêtes, plutôt que devant l’âtre, à se réchauffer dans les bras d’un mari, à donner sa chaleur et son sein à un petit

Weitere Kostenlose Bücher