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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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enfant, n’était-ce pas la faute de Guillaume ? « Si je n’y prends garde, pensa-t-elle, je serai bientôt ensevelie sous les mousses et les tourbillons de feuilles. »
    Elle s’ébroua, se leva, tassa du plat de sa main les plis de la robe chantilly sous laquelle miroitait un jupon de satin bleu bouillonné garni de dentelles crème et qui flattait sa taille et ses épaules. Elle rajusta les boucles à ses oreilles et vérifia la mouche au coin de ses lèvres. Puis elle alla embrasser sa mère dont l’appartement jouxtait le sien. Mme d’Orbelet avait décliné l’invitation de M. de Montmor, affirmant que Delphine suffirait à les représenter toutes deux à cette soirée où elle n’avait pas sa place.
    Quand Delphine pénétra dans la chambre, elle eut un mouvement de surprise à découvrir sa mère comme dédoublée, assise dans un fauteuil avec en face d’elle une femme d’à peu près son âge, vêtue pareillement de noir et sans autre ornement qu’un grand fichu de cotonnade blanche.
    Elle devina qu’il s’agissait de Mme Fabre-Boyer, son ancienne condisciple.
    — Louise, voici ma fille, dit Mme d’Orbelet en se tournant vers la visiteuse.
    — Une fille ravissante ! dit celle-ci d’une voix d’une curieuse gravité qui jurait avec sa fine silhouette.
    Delphine, gênée d’être ainsi apprêtée devant ces deux femmes à l’austérité janséniste, fit une révérence maladroite.
    — Maman m’a beaucoup parlé de vous, madame, dit-elle. Elle m’a confié que vous étiez son modèle à Port-Royal.
    Mme Fabre-Boyer consentit un pâle sourire. Elle avait de grands yeux noirs, une bouche carmin aux lèvres coupées en leur milieu comme la chair des cerises. Sans cet accoutrement et malgré son âge, elle aurait passé pour une très jolie femme.
    — Tant de temps s’est écoulé depuis cette époque, dit-elle. Nos convictions se sont frottées à la rudesse de la vie. Et toutes, saintes comme pécheresses, nous n’avons jamais rien fait, depuis, que de tenter de survivre.
    — Louise s’est retirée dans une maison religieuse, ajouta Mme d’Orbelet. C’est la raison pour laquelle nous avions tant de mal à la trouver. Eh bien, Delphine ?
    — M. de Montmor s’est montré rassurant, dit la jeune fille en rougissant. Le décès de M. de Chabas devrait délivrer Guillaume de sa mission. En attendant des instructions précises de Versailles, M. de Montmor le fait prévenir et le met en sûreté. Dès ce soir, peut-être, Guillaume sortira des galères.
    — Je suis heureuse pour vous, dit Mme d’Orbelet.
    — Je vais être en retard, ma mère.

    Les derniers invités montaient les escaliers, s’émerveillant devant les bosquets de fleurs et les oiseaux en cage. Elle se mêla à l’un des groupes et pénétra dans les salons. Des cheminées profondes où brûlaient d’énormes bûches mêlées à des pieds de lavande soufflaient des bouffées tièdes qui s’en allaient se perdre sur les tapisseries des Gobelins, les premières qu’on voyait en province.
    Sur l’instant, Delphine fut mal à l’aise. Le petit monde de Marseille, depuis qu’on l’avait aperçue sur le cours en compagnie de l’intendant, ne parlait plus que de cette mystérieuse étrangère et guettait son arrivée. Des filles à longues nattes brunes, à qui la lumière des lustres faisait des lèvres brillantes de sucre, pour mieux la voir, se penchaient par-dessus l’éventail. Des hommes à la peau mate, au profil de buse, à demi gentilshommes et à demi pirates, la saluaient en cherchant son regard. Tout ce monde jasait, chuchotait, commentait, supputait.
    Elle s’avança cherchant désespérément M. de Montmor. Le bal avait commencé. Les lustres glaçaient le parquet de longues traînées de cendres. La lumière s’enfonçait dans le satin des épaules. Les robes s’ouvraient dans des rumeurs de soie froissée et dans le branle, les jupons se montraient, en triangle, comme des éventails blancs. Un tourbillon emportait des joues laquées de rouge, des perruques plâtrées de talc, des derrières de chignons allumés de chaque côté par le point d’or d’un bijou, par l’éclat d’une pierre. Elle suffoqua, chercha à fuir, n’eut le courage que de s’asseoir dans le premier fauteuil. « Pourquoi ne suis-je pas comme toutes ses filles, se demanda Delphine, insouciante et frivole, au bras de l’homme que j’aime ? » Des jeunes femmes dont les traînes bruissaient passaient à

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