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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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côté d’elle, la frôlaient à dessein, la noyaient dans un éclaboussement de poudre et de parfum, de rires et de frissons. Des écuyers en habit de velours tournaient autour d’elle, la moustache luisante et l’oeil noir, arrangeaient leurs dentelles, se pavanaient comme de jeunes coqs.
    Soudain, l’intendant fut devant Delphine. L’ondulation de sa crinière et le frémissement argenté dans ses yeux jouaient dans l’épaisseur des étoffes et la caresse des reflets.
    — Alors ? demanda-t-elle en se levant.
    — Il refuse.
    Elle se leva d’un bond, prête à défaillir.
    — Il refuse. Il se moque de la mort de M. de Chabas. Il veut mener jusqu’au bout sa mission. M. de Lautaret est un entêté.
    — Lui avez-vous dit que j’étais là et que je l’attendais ?
    M. de Montmor hésita, suivit la ronde de la danse, revint sur la jeune femme. Il la trouva plus belle que jamais. Ses yeux tristes avaient un gris de plomb fondu, un gris d’ardoise restée sous la pluie.
    — Oui, Delphine. Mais il est exalté.
    Il se tut. Elle pleurait. Il pâlit, avec un frémissement de la bouche, une agitation des doigts, une crispation de tout son être comme une branche qui se tord sous le feu.
    — Je vous aime, dit-il très vite. Et pour l’amour de vous, si vous me le demandez, je le sauverai d’une mort certaine, même contre son gré.
    Elle le regardait, indécise, troublée. Que venait-il de dire ? Elle peinait à comprendre le sens de ces dernières paroles. C’était tout à la fois une déclaration d’amour et une menace voilée. Le sort de Guillaume dépendait de cet homme, d’un homme qui venait de lui déclarer sa flamme. Elle sentait ses jambes trembler et son coeur battre à se rompre.
    Il se pencha sur sa main, la tint un moment contre ses lèvres.
    — M’accorderez-vous cette danse ?

    3.
    Il y eut un cri, soudain, un hurlement terrible qui le fit se dresser à demi. Il était couché dans un lit, un lit double parmi des dizaines d’autres, alignés en deux colonnes le long d’une pièce interminable, à peine éclairée par des veilleuses, garnie de grandes fenêtres à barreaux ouvrant sur la nuit noire. Guillaume mit quelques secondes à reprendre conscience. La plainte revint, plus déchirante encore. C’était son voisin de couche, prostré sous le drap, rampant parmi ses déjections, étranglé dans la hurle et la bave. Deux infirmiers, aidés d’un garçon apothicaire, vinrent prendre le malheureux et l’emportèrent. Guillaume voulut se relever mais des chaînes le retenaient prisonnier aux barres de fer du lit.
    De larges tentures de velours rouge séparaient la salle en plusieurs compartiments et alourdissaient l’air d’un silence, d’une senteur tiède de chapelle. D’autres têtes émergeaient des lits autour de lui, des têtes pelées de momie, d’autres sèches comme du bois mort, et d’autres encore, incandescentes, lumineuses comme des braises.
    — Je suis heureux que tu t’en sois sorti, dit une voix sur sa droite. Tu te rappelles de moi ?
    C’était Jeremy, le jeune huguenot qui, dans la chaîne, depuis Paris, marchait devant lui.
    — Où sommes-nous ?
    — À l’hôpital de la chiourme, entre les anciens et les nouveaux bâtiments. Ils t’ont amené en milieu d’après-midi. Tu as été assommé à la suite d’une bagarre entre forçats, nous a-t-on dit, mais le médecin réal est d’avis que tu n’as rien de cassé.
    Guillaume papillonnait des yeux. L’huile brûlait dans les lampes, avec des grésillements secs, lâchant des odeurs lourdes de graisse. Les grains des murs scintillaient aux lueurs des mèches comme des plaques de sel. Il était donc vivant. Il reverrait Delphine. Mais très vite il réalisa la fragilité de sa situation : Lapardula était mort. Le plan d’alerte n’avait pas fonctionné. Il n’avait plus de nouvelles de Delphine. Et sans son ange gardien il devenait une cible bien facile pour ceux qu’il avait pour mission de démasquer.
    — Il y a quelqu’un ici, avec moi, qui voudrait te parler, ajouta Jeremy.
    Derrière le jeune homme, en effet, Guillaume distingua dans l’ombre une silhouette cachée. Elle fit un pas en avant. C’était un bagnard à l’oeil noir, reculé par les cernes, au crâne de brique rouge que la lueur des lampes couvrait de reflets mêlés d’encre et de pourpre. Il portait un tablier blanc, avec sur le devant une grande poche où dépassaient le goulot d’un flacon et le bout

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