Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
Vom Netzwerk:
endroits de grumeaux d’un rouge plus vif, d’un rouge de gorge tranchée. Une lumière ascétique, un jour virginal d’un rose bonbon lissait l’eau engourdie, pâmée, morte, où les immeubles se reflétaient comme dans une huile. Des bateaux aux mâts chargés d’oiseaux dormaient encore dans l’onde figée. Des soupirs agitaient les voiles.
    Guillaume bâilla. À peine deux nuits à dormir sur le banc et il n’en pouvait plus, les os cassés, le corps sucé par les punaises, les muscles endoloris par le froid et la rudesse du bois. Le nommé Louvet avait disparu et cette absence lui rappela brutalement les propos tenus la veille par le galérien. Il en informa sur l’instant Lapardula.
    — Alors, nous n’avons plus de temps à perdre, lui dit le bonnevoglie. Dès que je peux, je contacte mon relais. Tout doit s’arrêter dès ce matin. Ils doivent nous sortir de là.
    C’était pourtant une journée douce. Le vent salé balançait ses bouffées tièdes. Des barques encore éclairées par des falots faisaient la navette d’une rive du port à l’autre. Déjà le soleil mettait sur les dalles du port des lueurs d’or caramélisées, comme d’immenses morceaux d’écaille, qui s’en allaient se briser sur les portes des entrepôts aménagés dans l’épaisseur même des quais où s’activaient les premiers portefaix.
    Le cérémonial du précédent matin se renouvela. Les pertuisaniers libéraient certains galériens moyennant le versement d’un sol et ceux-ci descendaient escortés par les gardes-chiourme ou pris en charge directement par leurs employeurs. Le plus gros bataillon passait sous les ordres des maîtres des savonneries marseillaises qui, à ce qu’on lui dit, employaient jusqu’à quinze cents galériens destinés « à piler les barilles et les bourbes ». Puis on distribua de nouveau les tricots. Mathusalem, l’aveugle, refit son apparition, plus loqueteux que jamais. Il devait avoir picolé plus que sa ration parce qu’il titubait sur la coursie, manquant à chaque pas de s’affaler.
    Des yeux étaient posés sur eux et les rangs voisins chuchotaient à voix basse. Enchaînés à leur banc, désarmés, sans soutien, abandonnés à leur sort, ils étaient désormais une proie facile pour les assassins de l’Orfèvre. « Ils ne vont quand même opérer ici en plein jour », pensa Guillaume.
    — Vous deux, dit le sous-comite en les désignant. Corvée de « fatigue ». On a besoin de vous à l’arsenal.
    — C’est notre chance, lui glissa Lapardula.
    Ils furent emmenés, avec quelques autres, vers la fosse aux mâts, gigantesque dévidoir où des troncs par centaines flottaient dans l’eau de mer. Il fallait séparer les fûts, le chêne pour les coques, le pin pour les mâts, le peuplier pour les sculptures, l’orme pour les affûts des canons. Dès qu’il le put, Lapardula appela un pertuisanier et lui glissa quelques mots à l’oreille. Celui-ci en référa à l’argousin qui supervisait l’opération. Après quelques conciliabules, le garde-chiourme vint ôter à l’Italien la chaîne qui l’attachait à Guillaume.
    — Tiens le coup une heure ou deux, dit-il en clignant de l’oeil tandis qu’on l’emmenait vers le bureau de la chiourme.
    Le jeune procureur le regarda s’éloigner en pensant que son compagnon avait bien vite paniqué. Le risque était-il si grand ? S’il devait renoncer, que dirait-il à M. de Saintonges ? Et M. de Chabas accepterait-il si facilement de mettre fin à la mission ? Allons, pensa-t-il, j’ai peut-être encore un peu de temps devant moi. Le maître charpentier était un petit gros au teint de jambon cru qui ne cessait jamais de parler. Il leur apprit qu’il ne fallait pas moins de quatre mille chênes, venus de Provence, de Bourgogne, de Franche-Comté, pour un vaisseau de cent dix canons. Tout cela descendait par flottage sur la Durance et le Rhône jusqu’à Marseille. C’était lui le responsable de l’acheminement des troncs et il n’en était pas peu fier.
    — Et pas n’importe lesquels, dit-il. Rien n’est trop beau pour les galères du roi. Dans les provinces forestières, des commissaires marquent les arbres reconnus propres au service de la marine et leur abattage est interdit.
    — Cela doit te rapporter beaucoup, dit Guillaume.
    Le maître charpentier fronça le sourcil et le regarda de haut.
    — De quoi tu te mêles, forçat ?
    — Ce n’est pas moi qui me mêle, tenta Guillaume,

Weitere Kostenlose Bücher