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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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d’un petit morceau de bois, des écorces de citron glacées de sucre. M. de Montmor plissa ses yeux de chat et se recula sur son siège pour mieux admirer ses passagères. D’un geste discret, il appuya son genou sur celui de Delphine.
    — Ici, dit-il en la regardant dans les yeux, vous seriez vite une reine.
    — N’est-ce point une chapelle ? demanda la jeune femme en regardant dehors. Auriez-vous la bonté de nous faire arrêter ? Je voudrais allumer un cierge.
    Il s’exécuta de mauvaise grâce. Delphine n’attendit même pas que le laquais dépliât le marchepied. Elle sauta, dès la portière ouverte, et se précipita vers l’édifice. Le vent léger qui s’était levé s’insinuait sous sa robe et la gonflait. Elle avait si peu de temps à perdre. Il lui fallait trouver quelqu’un à qui confier le pli avant que Montmor ne l’interceptât.
    Une phosphorescence blême huilait les dalles de la chapelle. Des candélabres éclairaient des colonnes et jetaient des taches lumineuses comme des lunes sur les reposoirs où priaient, figées dans le plâtre, des statues bleues de la Sainte Vierge. Elle vit passer, derrière l’autel, deux moines, à la démarche grave, avec de grands manteaux noirs, des soutanes violettes doublées de rouge. Elle fit un geste vers eux, hésita. M. de Montmor apparaissait déjà dans l’ouverture de la porte d’entrée. Elle prit au hasard l’allée de droite et s’engouffra entre les colonnes froides. Au plafond, sous la voûte, des angelots de vermeil soulevaient des draperies où éclataient des inscriptions votives.
    Ce fut alors qu’elle le vit. Il était à genoux, au milieu de l’allée. C’était un galérien vêtu d’un bonnet écarlate, d’un tablier de cuir, d’une chemise émaillée de reprises et de coutures. Sur sa tête penchée, son bonnet plaqué ne laissait voir qu’un pan de menton où blanchoyait une barbe drue, semi-grise. Ses bras étaient allongés le long de son corps, les mains demi-ouvertes, et il restait là, sans un geste, les lèvres fermées, muet comme la mort, immobile comme le marbre.
    Elle n’avait plus le choix. Elle se précipita, s’accroupit pour être à sa hauteur.
    — Monsieur, dit-elle. Pour l’amour de Jésus-Christ, aidez-moi ! Voici un pli et voici une bourse. La bourse est pour vous et le pli pour un galérien arrivé en début de semaine. Il s’appelle Guillaume. Guillaume de Lautaret. Il a trente ans et est soupçonné d’avoir tué un gabelou.
    Derrière elle, le pas de M. de Montmor résonnait sur les dalles. Son ombre s’allongeait, immense et noire, entre les colonnes. Le galérien tourna la tête vers elle avec un air hébété. Il devait ne pas en revenir de cette apparition, de cette Sainte Vierge soudain descendue des vitraux.
    — Guillaume ? répéta-t-il. Mais elle ne prit pas le risque de répondre. Elle se redressa et se glissa vers le reposoir des cierges.
    Ce n’était pas M. de Montmor mais l’un des cavaliers qui les avaient escortés depuis l’arsenal.
    — Madame, dit-il, M. l’intendant vous prie de ne pas vous attarder. Une affaire urgente l’attend à la maison du roi.
    Quand elle sortit à l’air libre, elle fut aveuglée par la lumière. Des rayons de soleil tendaient des fils d’or des arbres jusqu’aux pelouses. M. de Montmor était en grande discussion avec des cavaliers crottés et couverts de poussière qui tenaient par le licou des chevaux qui semblaient revenir de la guerre, les naseaux ouverts, l’oeil sanglant.
    — Madame, dit-il en avançant vers elle. Une terrible nouvelle. M. de Chabas a été emporté par sa dernière crise. Il a succombé avant-hier.
    Il triturait tout en parlant le bord de son chapeau et sa face de chat se déformait sous une curieuse grimace. Ses yeux brillaient comme ceux des fauves la nuit. « M. de Chabas est mort, répétait-il dans sa tête. M. de Chabas est mort ! » La phrase lui faisait un effet extraordinaire et il était si excité qu’il ne parvenait pas à en saisir la raison. Ce fut en regardant Delphine qu’il finit par comprendre.
    Il était le seul désormais à savoir que M. de Lautaret n’était aux galères qu’en mission pour le roi. Si tel était son désir, Guillaume resterait aux fers jusqu’à la fin de sa vie.

CHAPITRE XI
    1.
    Des dépôts de cendres encrassaient l’horizon. Sur les nuages labourés, on suivait le tracé de sillons dessinés au soc de charrue, profonds, vernissés, éclatés par

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