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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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davantage.
    L’un des joyaux de l’empire de l’Orfèvre était la longue guirlande de « baraques » qui s’alignaient de l’église des Augustins jusqu’au fort Saint-Jean. Il avait obtenu le droit pour les forçats artisans ou commerçants, ou simplement habiles à un métier, de tenir boutique à portée de main des proues des galères. Plus de trois cents échoppes, posées moitié sur le quai et moitié sur l’eau, plantées sur de méchants bouts de bois fichés dans la mer, bâties à la diable avec de vieilles planches, offraient aux passants une multitude de services et d’objets à la vente. Près de huit cents galériens y besognaient sans relâche : perruquiers, libraires, cordonniers, menuisiers, tailleurs, chapeliers, arracheurs de dents, débitants de café et de liqueurs, serruriers, écrivains…
    — La force de l’Orfèvre, lui dit encore le barberot, c’est d’avoir découvert deux choses : premièrement, que la chiourme était un gisement humain extraordinaire, riche de tous les anciens métiers des condamnés, de savoir-faire, qu’il eût été idiot de ne pas exploiter, à commencer par celui des faux sauniers dans le trafic de sel ; deuxièmement, qu’il suffisait d’intéresser financièrement les comites, les argousins, l’ensemble des gardes-chiourme pour qu’une organisation efficace pût se mettre en place. Une fois lancée, on ne pouvait plus l’arrêter.
    — L’Orfèvre doit être immensément riche.
    — Je ne sais pas, lui dit le barberot. Je ne l’ai jamais vu.
    — Et d’où tiens-tu tes ordres, alors ?
    — Il nous rencontre toujours dans le noir absolu. Il donne ses ordres et disparaît sans que nul l’ait aperçu.
    Autour d’eux, des barbiers faisaient le poil, des perruquiers accommodaient les postiches, des tailleurs et des cordonniers cousaient et ressemelaient, des bricoleurs sculptaient dans le bois des pipes et des tabatières. Guillaume découvrit même une étrange échoppe décorée d’immenses gabians empaillés, semblables à celui qui couronnait Mme de Saintonges. Il y vit comme un signe pour lui rappeler quelle était la véritable nature de l’Orfèvre. Le forçat travaillait dans le fond de son atelier, occupé à emplir de paille un oiseau embaumé. Une triple commande ? Non, il ne s’en souvenait pas. Il ne gardait pas trace de ses ventes et avait casé plus de vingt pièces dans les deux mois précédents.
    — L’Orfèvre, en tout cas, a été content de ceux qu’il t’avait commandés, tenta le procureur.
    — Commandés ? Je n’ai jamais rien vendu à l’Orfèvre, s’étonna l’homme.
    Le barberot l’appelait pour continuer la tournée et Guillaume n’insista pas.
    Les baraques n’abritaient pas que des activités licites. Un serrurier leur remit un rossignol et un trousseau de fausses clefs ; un écrivain confia au barberot une série de pouvoirs en blanc et quand ils s’arrêtèrent à l’échoppe d’un brocanteur, celui-ci sortit de sous son établi un coffre recouvert d’une couverture et leur en montra furtivement le contenu :
    — Un calice des frères feuillants, dit le galérien à voix basse, une lampe de la chapelle Notre-Dame-du-Rosaire et une lampe de l’abbaye Saint-Victor.
    — Bien, dit le barberot. J’en informerai l’Orfèvre. Il te trouvera des clients.
    — Dépêche-toi. Ça s’agite beaucoup ces temps-ci. Ils recherchent deux femmes qui ont volé l’intendant et ils fouillent un peu partout. Je ne peux pas garder cela ici.
    — Deux femmes ? reprit Guillaume.
    — Je suis au courant, dit le barberot en lui posant la main sur le bras. C’est bien ton épouse et sa mère. Ne t’inquiète pas. Elles sont à l’abri, chez des personnes de confiance.
    Guillaume comprit alors pour quelle raison l’Orfèvre était si sûr qu’il ne le trahirait pas.

CHAPITRE XV
    1.
    Honorade l’avait prévenue la veille. Elle tenait entre ses grosses mains boudinées une salade de poivrons grillés et portait sous l’aisselle un flacon de vin clairet.
    — L’intendant général des galères s’agite. Ses hommes fouillent maison par maison et ils s’en prendront bientôt au quartier. Nous avons reçu l’ordre de ne plus te laisser sortir. Même Sophie n’a plus le droit de venir te voir…
    Et en l’embrassant, elle avait refermé la porte à clef.
    Delphine bloqua la poignée de sa chambre avec une chaise et ouvrit la fenêtre. Des cordes à linge où séchaient des culottes et

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