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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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des chemises pendaient mollement entre les façades. Elle enjamba le parapet, fit un rapide signe de croix, s’accrocha à deux fils et se laissa glisser. Les cordes se plièrent aussitôt mais, comme elle l’avait espéré, elles adoucirent sa chute et ne cédèrent alors qu’elle n’était plus qu’à moins d’un pied du sol. Elle atterrit dans l’ordure, au milieu du ruisseau fangeux. Des femmes, la coiffe à brides dénouées sur la tête, le fichu croisé, montaient l’escalier de la rue avec leur panier posé sur leur hanche ronde et barraient toute la largeur de l’escalier. Delphine les bouscula en s’excusant et disparut vers le port. Elle avait pris sa décision très vite. Elle ne pouvait rester à attendre Montmor et la seule voie qui s’ouvrait à elle était de joindre l’Orfèvre et de le supplier de retrouver Guillaume. Et le seul endroit où, pensait-elle, il lui était possible de le joindre sans risque de retomber dans les griffes de l’intendant, c’était les Trois Malouins.
    Sur le bout du port où l’on débarquait au matin le poisson, des pêcheurs remmaillaient leurs filets et ravaudaient leurs voiles. Des matelots faisaient une soupe à l’ombre d’une barque échouée. Le mistral ne soufflait plus. Seul un vent tiède qui venait de la mer agitait lentement les mâts nus et les gréements ainsi que, le long du quai, la bordure des tentes en coutil suspendues à la porte des magasins et des tavernes. Elle chercha à se repérer. Le Coin de Reboul, là où nichaient les Trois Malouins, n’était pas loin du port, près de la place Vivaux. Elle courut. L’air était doux et répandait une douceur de vivre. Des vieux se chauffaient au soleil, la pipe au bec. Des enfants, les jambes dans l’eau, poussaient vers le large de petits radeaux en liège. Le peuple d’artisans qui logeait dans les rues de traverse débordait un peu sur les quais : des forgerons battaient l’enclume ; des tonneliers cerclaient les barriques coincées entre leurs cuisses ; des chaisiers rempaillaient assis le long des murs.
    Elle hésita entre deux voies, demanda son chemin à une femme qui, en se retenant au bât, menait à la gaule son âne chargé de lourds paniers d’osier, finit par suivre un troupeau de chèvres qu’un gamin, l’anneau aux oreilles, promenait dans la vieille ville pour tenter les amateurs de lait frais. Au milieu du vacarme des sabots sur le pavé et des clochettes, il comprit qu’elle cherchait le Coin de Reboul et le lui indiqua.
    Il n’y avait, devant l’entrée des Trois Malouins, que l’une seulement des sentinelles de l’autre jour – le petit au nez énorme et aux cheveux liés en queue-de-rat – mais il la reconnut immédiatement. Il parut affolé, regarda à droite et à gauche et avant même qu’elle ne lui ait rien demandé, il la poussa violemment à l’intérieur de l’établissement. Aucune fille n’attendait sur les divans mais l’on entendait des gloussements à l’étage. Sans doute était-il trop tôt. Ni le grand lustre ni les lampes en forme de mosquée n’étaient allumés et seule une lumière ascétique tombait des fenêtres aux volets entrouverts. On entendait bourdonner des guêpes.
    Et puis Delphine aperçut les deux hommes : le vieux à l’accordéon et au museau de chien et un autre, pas très grand, crâne ras, les bras rouges et poilus qui n’était autre que le barberot. Ils jouaient aux cartes, dans l’ombre d’un pilier, sur une table basse recouverte d’un tapis à franges. À côté d’eux, sur un plateau en cuivre, reposaient une bouteille d’hypocras et deux timbales en argent ciselé. Ils l’observaient sans dire un mot.
    — Je veux voir l’Orfèvre, murmura Delphine d’une voix à peine audible. J’ai des choses à lui dire.
    Le vieux à l’accordéon la fusillait du regard. Il chiquait avec des lèvres noires en mouvement. Il glissa quelques mots au barberot et ce fut ce dernier qui se leva et vint vers elle.
    — Il ne faut pas rester là. Nous allons avoir de la visite. On nous a prévenus : ils arrivent et ils vous cherchent.
    — Je vous en supplie. Je veux qu’il me conduise à mon mari.
    — Je connais votre mari…
    Il y eut, montant de la rue, un sifflement sur deux notes, suivi, après un temps de silence, d’un autre identique mais plus précipité.
    — Ce sont les hommes de l’intendant général, dit le barberot en attrapant Delphine par le bras. Venez, il faut vous cacher à

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