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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’intendant en t’offrant une seconde vie sous une fausse identité.
    — Pourquoi ferait-il cela ?
    — Parce que c’est toujours comme ça qu’il procède. Il sélectionne ceux qui en valent la peine et il cherche à savoir comment il peut leur rendre service. Et plus ce service est grand et plus il sait qu’il pourra compter sur eux. Toi, tu en vaux la peine. Tu m’as tout de suite plu. Tu es faux saunier et l’on a besoin de ces gens-là. Tu as tué un gabelou. Tu sais lire et écrire. Un produit rare. Acceptes-tu de travailler pour l’Orfèvre ?
    — Ai-je un autre choix ?
    L’homme fit mine de réfléchir, puis il saisit la bouteille et la lui tendit :
    — Bienvenue dans l’Organisation, mon gars.

    4.
    Le vieux Nathan était un tout petit bonhomme avec une tête en forme de poire, une raideur du cou et des yeux globuleux qui crevaient sa face violacée comme des bulles percent la surface d’une eau trouble. Il avançait d’une démarche lente, faussement paresseuse, prudente. Sa librairie n’était pas très grande, éclairée par des cierges aux cires enroulées comme des câbles, avec des murs tapissés de rayonnages jusqu’au plafond, des tréteaux croulant sous les ouvrages et des manuscrits enroulés coincés dans des vasques. Sur un secrétaire, des registres ouverts s’empilaient, couverts d’une écriture à l’encre grise et sèche comme des ailes de mouche. Le papier semblait y dormir dans la poussière. Une armoire grillagée fermée par un cadenas renfermait d’autres recueils.
    — Ce sont des livres que j’enchaîne, dit-il, parce qu’ils sont trop dangereux. À l’occasion, il m’arrive de les battre.
    Il partit d’un petit rire chiche qui le fit tressauter de bas en haut. Des larmes lui venaient aux yeux.
    — C’est de l’hébreu, n’est-ce pas ? dit Delphine en jetant un oeil par le grillage.
    La bibliothèque de Marie d’Astuard, à Seyne-les-Alpes, avait quelques vieux traités en cette langue, que le marquis, érudit, avait achetés aux Juifs du Comtat Venaissin.
    Le vieux Nathan blêmit et, d’une main, il s’accrocha à l’une des étagères de sa bibliothèque.
    — En effet, dit-il. Vous êtes une jeune femme surprenante. Je doutais même que vous sachiez lire.
    — Et ça, dit-elle en désignant un recueil tout en haut de la bibliothèque, n’est-ce pas Des minéraux et des métaux d’Albert le Grand ?
    — Vous êtes redoutable. Puisse Mgr de Belsunce et sa secte de fanatiques ne jamais vous rencontrer !
    — Vous n’êtes pas moins surprenant, dit Delphine. Voilà une curieuse librairie dans un quartier de pêcheurs.
    — Marseille est une ville magique, dit le vieux Nathan en essuyant ses lunettes. Un port qui commerce avec les Échelles du Levant, une ville qui a des comptoirs à Alep, à Alexandrie, à Damas, un peuple commerçant à qui l’on peut passer commande des manuscrits les plus rares. Mais c’est une cité dangereuse, où l’église a de grands pouvoirs. Il fait bon y vivre mais y vivre caché.
    — Je comprends.
    — Puisque vous savez lire, accepterez-vous un cadeau ? Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
    — Je m’intéresse au sel, dit-elle très vite. Je fais souvent des rêves dans lesquels je me bats avec des tempêtes de sel. Un chanoine m’a dit que c’était un symbole ambigu.
    — Votre chanoine vous a dit la vérité, dit le vieux Nathan en se traînant jusqu’au petit fourneau. Dans le Grand OEuvre, le sel, principe neutre, est le produit, au sein du creuset, des « noces philosophales » du soufre, élément mâle, et du mercure, élément femelle.
    — Mais se peut-il qu’il puisse régénérer ? Qu’il puisse… donner la vie ?
    Nathan prit la bouilloire en fer-blanc qui tressautait sur le fourneau et versa une liqueur ambrée dans des verres transparents posés dans des coquetiers de filigrane doré.
    — Du café, dit-il, du café de ma composition. Régénérer ? Bien sûr. Votre chanoine ne vous a pas parlé du prophète Élisée ?
    Il alla de son pas hésitant jusqu’à un escabeau de bois qu’il appuya sur les rayons de la bibliothèque. Avec d’infinies précautions, il gravit les deux premières marches et se saisit d’un livre en vélin rouge.
    — J’ai un faible, dit-il, pour la version de La Guerre des Juifs . C’est une oeuvre écrite en 75 après Jésus-Christ, commandée par l’empereur Vespasien à son ancien prisonnier, le prêtre juif Joseph, fils de

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