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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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l’étage.
    — Je veux voir Guillaume, dit-elle d’une voix éraillée par l’émotion.
    — S’ils vous prennent, vous êtes perdue. Montez avec moi et je vous promets que je vous le ramène !
    On frappait maintenant à la porte. Le vieux à l’accordéon se leva pour ouvrir.
    — Il est trop tard, dit-il. Qu’ils l’emmènent et qu’on en finisse.
    — Non, dit le barberot. Son mari est un brave gars, on ne peut pas lui faire ça.
    Il prit Delphine par la main et l’entraîna vers l’escalier. Elle finit par comprendre et monta les marches au même pas cadencé que lui. Ils s’engouffrèrent dans la première chambre. Une fille nue, une Turque, la peau d’un brun ocre magique somnolait sur le lit.
    — Vite, dit-il à Delphine, nous n’avons pas le choix. Déshabillez-vous.
    — Que je me…
    — Dépêchez-vous, par les cornes du diable !
    Il la jeta sur le lit et lui arracha le devant de la robe. Il jeta un ordre bref à la fille qui vint aider la jeune femme à ôter l’ensemble de ses jupons. Quand elle fut toute nue, il lui fit passer une simple chemise qui dévoilait ses fesses et l’essentiel de sa poitrine. Il avait ramassé sur le devant d’une coiffeuse deux pots de poudre et des boîtes à maquillage et il demanda à la fille de farder Delphine grossièrement. Delphine en tremblant se laissait faire. La Turque lui parlait doucement, en provençal sans doute parce qu’elle ne comprenait pas la moitié des mots, tout en lui peignant les yeux et la bouche. Elle lui apposa même un peu de rouge sur le bout des seins. En bas, on entendait des éclats de voix et des cavalcades.
    — Allongez-vous, maintenant, dit-il d’un ton ferme en ôtant ses propres vêtements. Et mimez le mieux possible la copulation ! Toi, caresse-moi par-derrière !
    Delphine suffoquait. C’en était trop. L’homme sentait l’ail et le tabac. Elle éclata en pleurs tout en se collant contre le forçat.
    La porte s’ouvrit d’un coup violent, d’un coup de botte à n’en pas douter. Delphine hurla et ramassa le drap pour se couvrir. Le barberot s’était relevé, affolé, envoyant rouler la Turque sur le plancher. Deux soldats entrèrent dans la pièce. Un argousin se tenait derrière eux. Ils éclatèrent tous les trois de rire en découvrant la scène.
    — Mais c’est le barberot ! dit l’un des soldats.
    — Qu’y a-t-il, les gars ? On peut plus s’amuser ?
    — Désolé, l’ami, dit le sous-officier en passant deux pouces sous le ceinturon de cuir qui descendait bas sur ses hanches. On doit fouiller partout.
    Il observait Delphine mais la jeune femme, avec son visage défait où le maquillage avait coulé, ses cheveux en bataille et cette chemise à demi transparente qui lui collait au buste, cette fille qui venait de s’offrir au coït d’un forçat qui partageait les caresses d’une Turque, était à mille lieues de cette dame élégante et hautaine qu’il avait aperçue à deux reprises en compagnie de M. de Montmor.
    — Bonne continuation, dit-il à la fin en adressant un clin d’oeil au forçat.
    Delphine était mortifiée, prostrée dans un coin de la pièce. Le barberot se rhabillait.
    — Je vous l’ai promis, lui dit-il. Restez ici. Je vous ramène votre Guillaume.

    2.
    Sur l’eau immobile du port, les étoiles refaisaient le ciel. La lune déambulait d’un pas de lassitude, comme un veilleur de nuit balançant sa lanterne, jetant de grandes giclées de lumière sur la mer et sur les bateaux amarrés. Elle attrapait au passage des fantômes de coques, des cordages blanchis de sel, des peintures craquelées au-dessus de la ligne de flottaison, des noeuds de moules accrochés aux pontons. Des gardes-chiourme, du haut des dernières galères qui restaient au port, assis sur des tonneaux, l’oeil perdu sur ces beautés, sirotaient leur vin, fumaient, avalaient de petites lampées, refaisaient le monde en rêvant de courses lointaines.
    Guillaume les dépassa sans les regarder. Il suivait le barberot le long des quais, au-delà de l’hôtel de ville. Le forçat lui avait annoncé une grande surprise mais avait refusé de lui en dire plus. Il avait attendu tout le jour pour l’avertir par crainte du retour de l’argousin. Ils entrèrent aux Trois Malouins par une porte de service afin d’éviter la clientèle qui, à cette heure, menait grand tapage dans les salons.
    — À l’étage, lui dit-il. La troisième porte à gauche.
    — C’est l’Orfèvre

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