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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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Mathias, devenu Flavius Josephus après son affranchissement.
    Il coucha l’ouvrage sur le bureau, caressa la couverture du plat de la main comme on flatte un pelage, tourna avec d’infinies précautions la couverture et les premières pages. L’odeur sèche et âpre du papier se mêlait à l’arôme velouté des verres de café.
    — Où est-ce, déjà ?
    Le petit chuchotement des feuillets sous ses doigts claquait dans le silence de la librairie. Delphine sirotait le breuvage à petites lampées, y descellait du poivre, de la cannelle, un peu de vanille peut-être. Le vieux Nathan caressait les nervures du livre, passait ses paumes sur le plat des pages.
    — Voilà, Livre IV, chapitre 8-3... Le prophète Élisée, disciple et successeur d’Élie, est appelé pour sauver la source de Jéricho dont l’eau rend les femmes et les terres stériles. « Il s’avança auprès de la source de Jéricho et jeta dans le courant un vase d’argile plein de sel ; puis, levant sa main droite vers le ciel, il demanda à la terre d’adoucir le courant et d’ouvrir des veines d’eau douce et au ciel de mélanger au courant un air plus fécond, d’accorder aux habitants abondance de fruits, successions de générations… cette eau, par la faute de laquelle ils étaient auparavant privés d’enfants et souffraient de la famine, se révéla, à partir de ce moment, pourvoyeuse de postérité et d’abondance… »
    — Le sel…, répéta Delphine. Le sel peut rendre fertile ?

    5.
    Dans les jours qui suivirent, initié par le barberot, Guillaume découvrit peu à peu l’importance des réseaux mis en place par l’Orfèvre. Tout lui était révélé sans aucune retenue et il en fut fort surpris. Certes, son compagnon ne cessait de lui répéter que l’Orfèvre avait besoin d’hommes de sa qualité et agissait toujours ainsi en accordant pleinement confiance aux forçats qu’il était sûr de tenir, le jeune procureur s’étonnait de telles confidences alors même qu’avait pesé sur lui l’accusation d’être un informateur. L’Orfèvre n’était guère prudent.
    Pour ne pas risquer d’être reconnu, il s’était laissé pousser la barbe, portait des lunettes à gros foyer qui lui donnaient une tête d’insecte et enfonçait son bonnet loin sur le crâne.
    La dernière oeuvre dont l’Orfèvre était particulièrement fier était la juteuse affaire du bagne-manufacture qu’il venait de monter à la fin de 1702 et qui permettait de faire travailler quatre cents forçats à la fabrication des bas. Le système en était d’une ingéniosité diabolique puisque, sous couvert d’un prête-nom, l’Orfèvre, outre les profits sur la revente des bas, recevait du roi lui-même deux sols par jour pour l’entretien de chaque galérien employé à cette manufacture construite à l’intérieur de l’arsenal. Certes, en contrepartie, il devait verser une maigre rémunération aux forçats ouvriers mais il avait reçu l’autorisation d’émettre en guise de salaire une monnaie de papier qui n’avait cours que dans l’enceinte du bagne et ne pouvait être dépensée que dans les boutiques attenantes qu’il contrôlait. Ainsi, il gagnait aux deux bouts de la chaîne.
    En outre, comme Guillaume l’avait subodoré, les flux d’argent produits par le trafic du vin, le travail des tricoteurs, les autorisations d’aller travailler en ville auprès des artisans ou des patrons des savonneries étaient drainés vers l’Organisation, via un prélèvement sur l’encadrement et les forçats eux-mêmes. Sa plus grande surprise fut de découvrir que les comites, agents de l’administration, payaient sans rechigner leur dîme à l’Orfèvre, gage de ce que leurs propres trafics pourraient se poursuivre sans remous et que la chiourme resterait servile.
    Ils évitèrent par précaution La Renommée mais montèrent sur La Merveilleuse et furent accueillis comme des princes par le comite qui leur offrit de son vin et leur remit discrètement son sac de pièces. Guillaume chercha des yeux dans les rangs le Turc Chibouk et Lassère l’Auvergnat. Mais quand il se renseigna, on lui apprit qu’ils étaient tous les deux morts, tués alors qu’ils remplaçaient des forçats sur la galère La Renommée , attaquée par une frégate anglaise. Cela étonna Guillaume parce qu’il avait le clair souvenir que les deux hommes n’avaient pas été touchés par la mitraille de l’Anglais, mais il n’en demanda pas

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